29.12.09

L'Affaire de l'Homme aux Louzoù*


Nous étions enfin installés sur ce fameux ferry et je sentais ce minuscule basculement intérieur qui signe que je suis sur un objet flottant. N'importe lequel. Y compris toute espèce de fer à repasser dont je me gausse quand je les vois de l'extérieur mais que j'adopte avec ferveur dès lors qu'ils me permettent cette dilatation indubitable du temps réel : une nuit sur l'eau, des heures à voir défiler l'horizon.
Un bateau, c'est toujours un bateau, voilà.

Et puis, voyant l'Homme aux innombrables défauts frétiller lui aussi d'être sur un ptit navire, j'avais demandé s'il était possible de visiter la passerelle et, sans avoir eu de réponse enthousiaste, il m'avait été promis que la question serait posée au capitaine.

Je me réjouissais également de commander la "daily soup" et des "onions rings" parce que je voyage presque aussi immédiatement avec la nourriture qu'avec la mer.

Et tout à coup, une annonce dans le haut parleur demande un médecin.

Dans ces cas là, une partie de moi dit : "Merde. Et en plus, c'est probablement pour peanuts."
Et l'autre dit : "Merde. Espérons que c'est pour peanuts."

Mais quoi qu'il en soit, les deux parties réunies reposent la serviette sur la table et se dirigent à l'endroit annoncé.
Sur le plan médical, c'était à peu près peanuts, sinon prendre sur soi le rôle du mauvais objet qui annonce à une jeune femme qu'il était impossible que son compagnon prit la mer dans cet état sub comateux et que le surplus de médocs ingérés étant inquantifiable, il nécessitait une surveillance hospitalière.
Sur le plan humain... elle ne pouvait savoir que je comprenais très bien l'espèce d'effondrement qui l'a saisie en pensant à tout ce qui avait été préparé avec sa famille irlandaise.

Comme j'ai très bien compris le soulagement manifeste de l'officier en second, pour qui le problème n'était plus que d'arriver à faire sortir une voiture de la cale.

Je suis remontée m'occuper de mes oignons frits, que j'ai dégusté sous l'œil franchement admiratif de mes filles qui m'imaginaient déjà faire le coup de la trachéotomie au couteau économe. Un peu de respect filial, par les temps qui courent est un assaisonnement rare et friand, aussi, je ne m'en suis point privée.

Le lendemain, on m'expliqua à la réception que, non seulement nous étions invités sur la passerelle de commandement, mais également priés d'accepter un repas pour 4 personnes au motif "d'assistance médicale à un passager".

Bref, nous fîmes sur une mer d'huile, entourés de sourires chaleureux , de signes de têtes cordiaux et de sauts de marsouins, une traversée de rêve.

La pieuse admiration filiale va aussi avec les œufs au bacon, finalement.




* Louzoù, c'est les médicaments en breton

3 commentaires:

Agaagla a dit…

j'ose espérer que le récit n'est pas terminé ! que d'aventures en trois billets !

(ah, le respect filial... mais ce n'est pas parce qu'il n'est pas manifeste qu'il n'est pas tout court ! ces mères alors)

Valérie de Haute Savoie a dit…

Tiens, tu fais remonter des souvenirs d'enfance, lorsque mon père s'arrêtait au bord de la route pour porter assistance à un blessé. Comme j'étais fière de ce papa là :)

JEA a dit…

Si vous aviez opté pour la navigation en Russie, là, vous étiez promise aux comas éthyliques
et à la table du capitaine avec du caviar fraudé et de la vodka épicée...