29.4.10

pourquoi voyager?



"Mais finalement, me disait Eyjafjöll en tétant sa bouffarde, pourquoi voyager?
Il est parfaitement possible de s'exprimer en restant immobile. Regarde, il me suffit de plonger en moi-même et...
- Oui. Mais tu fumes trop".

Je suis toujours embêtée quand je la ramène comme ça avec mes foutus discours de prévention. D'un côté, je me sens obligée et puis d'un autre, ça m'embête. Au fond, il est gentil Eyjafjöll et plutôt du genre lent à la réplique d'habitude.
Mais c'est vrai que sa question me trotte.
" Pourquoi voyager, dit la question? Au fond, on fait très bien le tour sans boug...
Ah zut.

Celui-ci, je l'avais un peu déguisé en visite, comme on arrange la coiffure d'une petite fille pour aller chez Mère-Grand. J'en avait fait bouffer, comme les coquerets d'un ruban, le long éloignement de M'zelle Zuzu et la nécessité relative de ramener une partie de sa garde-robe.
Je n'ai, bien entendu, dupé quiconque.
Ils le savent tous, ils savent entendre ce léger claquement de voile qui prend soudain le vent et ils prennent, avec un humour sans doute empreint d'un léger soulagement, mes mines affairées de chien courant, plus encore impatient de suivre la piste que d'arriver au but.
Quel but?
Je sais bien ce que n'est pas le voyage. Empilé comme les signes d'une réussite sociale, il m'ennuie comme une vitrine de montres de luxe et c'est peu dire. Rangé soigneusement, ordonné avec grâce comme les indices d'une culture irréprochable et de bon goût, il a tendance à me laisser légèrement sarcastique extérieurement et au fond, bizarrement, obscurément rebutée.
Je décline souvent à l'avance et avec discrétion, ce que je dois avoir vu.
Je ne traque pas le château, ni les places célèbres,
Au fond, je n'aime rien tant que la rencontre à l'improviste, comme si dans le voyage, je cherchais à prouver que j'étais, entre tous, aimée du petit Dieu Mercure, bénie par l'herbe de la Détourne, protégée par un hasard tendre et malicieux.

Rencontre inévitable :


Rencontre menteuse et gaie :
celui-ci prit la précaution de nous prévenir qu'un bon Irlandais, toujours, préférera son imagination, quand bien même la vérité serait présentable.








Rencontres minuscules dans ce qui n'est qu'en apparence un désert minéral, le Burren enclos de dalles grises, percées de fleurs entêtées.

..........
Rencontres naïves, partagées entre la gourmandise et la timidité. Vous pouvez rire. Mais cette rencontre là a vraiment l'odeur de mon enfance. Le premier âne que j'ai aimé fut irlandais et je peux même dire que le premier irlandais cher à mon cœur fut un âne. Comme Titania.
.......................
Rencontre en foule joyeuse. Ici, très précisément, au grand scandale de M'zelle Zuzu, je me suis fait pincer les fesses par un Irlandais bourré. Heureusement, Puck m'avait déjà fait le coup de l'âne et je n'ai pas succombé au charme du grand couillon modérément contrit. J'ai mesuré mon âge, non pas tant en calculant le temps depuis lequel pareille mésaventure ne m'était pas arrivée, mais devant l'incoercible fou-rire qui m'a pris. M'zelle Zuzu en tenait pour ma main sur sa face. Défendable, mais je riais trop.


Rencontre émouvante à Belfast. J'ai une particulière tendresse pour l'expression ironique et sensible de ce buveur qui attendait les jours meilleurs. Il semble, malgré tout, qu'ils soient en passe d'advenir.





Et puis, parce que toute visite à son enfant devenue adulte est une nouvelle rencontre et avec son autorisation, ce portrait de M'zelle Zuzu qui a 22 ans aujourd'hui.
Avec tout mon émerveillement.

26.4.10

Ça se passe près de vous.

Depuis longtemps, j'ai du mal avec la notion de "trouble du comportement".
J'ai dans mes brouillons, une tentative de décrire la lente mise à feu d'un enfant pas tout à fait comme les autres, qu'une succession de maladresses, de vexations et de tentatives tout aussi meurtrières de vouloir son bien ont conduit à une asphyxie psychique désespérée.

C'est une asphyxie très réelle dont est mort Skander Vogt dans sa prison suisse.
Une prison dont j'apprends avec un mélange d'ébahissement et de rage qu'il ne devait y rester que 20 mois. Pour des délits significatifs, mais payés au tarif légal de sanctions.
En 99.
Il vient de mourir après 11 ans d'emprisonnement au motif que son état mental le rendait dangereux. Il existe en effet un article du code pénal suisse qui permet le maintien en détention de manière illimité si le détenu est jugé inapte à revenir à la vie civile.

Or en 2008 un article du Matin énumérait les signes clinique de son état mental perturbé : être monté sur le toit de sa prison pour protester contre ses conditions de détention. Avoir refusé l'obligation de soins, alors même qu'il ne semblait pas y avoir eu d'expertise psychiatrique pour affirmer sa possible altération de personnalité. Avoir mis le feu à son matelas.
On y apprend qu'il s'estimait discriminé par ses gardiens, en butte à leur racisme et à leur harcèlement.
Ceux-ci on attendu près d'une heure pour réagir après le nouvel incendie de sa paillasse. Le Monde
nous dit que les enregistrements des conversations entre les gardiens et les secours sont accablants.
Je cite :
"A d'autres moments, la conversation est ponctuée d'éclats de rire. "Ça fait 50 minutes qu'il respire la fumée. Il peut crever", constate un autre agent, auquel son collègue répond : "Ouais, ben ça lui fait du bien." ".

Le cynisme, la soumission à l'ordre établi, l'impossibilité de se représenter la souffrance de l'autre, l'invalidation incessante de toute doléance ne sont peut-être pas toujours des signes de trouble personnels.
Ils sont en tous cas l'indéniable marque des systèmes pervers.

10 ans d'enfermement, dont 8 au moins qui puent l'arbitraire.
Quel choix a-t-on laissé à celui qui a été un gamin de 20 ans, après avoir été orphelin de mère à 2 ans, abandonné en Tunisie par son bâlois de père, élevé par une tante qui l'expédiera à 13 ans, sans un mot d'explication, dans une Suisse où ne l'attend qu'une famille d'accueil de l'aide sociale?
Décidément, là aussi, un beau protocole expérimental de mise à feu.

24.4.10

Je suis revenue...


Estuaire de la Liffey 2010



Aussi improbable que cela paraisse, une capitale européenne commence là...

20.4.10

deuxième carte postale irlandaise

En attendant les photos que j'ai vraiment faites, quelques clichés que je n'ai pas pris :

1) Au pied de la montagne rousse, les maisons sont entourées de talus verts, coupés d'ajoncs en fleurs. Assis l'un à coté de l'autre, chacun sur sa tondeuse autotractée, deux hommes discutent paisiblement en regardant au loin. Il reste la moitié du travail à faire.
2) La fenêtre étroite de ce pub donne sur la rivière et son éclat un peu métallique découpe le profil en contre jour de ce vieil homme.
3)Le quartier où habite M'zelle Zuzu est populaire. Partout, dans le monde, la voix des mères qui somment leur progéniture de rentrer après avoir joué dans la rue, renvoie ce son mi-inquiet mi-exaspéré. Et la voix des pères qui prennent le relais après plusieurs tentatives infructueuses, gronde des mêmes menaçantes perspectives. Marchant au devant de lui, j'ai vu Paullie, le visage contracté autour de ses tâches de rousseur, pédaler de toutes ses forces avec le visage de tous les enfants qui prient pour qu'un miracle inverse la pendule.
4) A Milton Malbay, dans le Comté de Clare, j'aurais pu prendre la photo de cette enfilade délicate de façades allant de l'orange au pêche. D'ailleurs, j'avais tout fait pour. Y compris reculer doucement pour me garer en ayant vérifié que personne ne venait derrière moi ni à gauche. Mais pas qu'une voiture venant devant moi puisse tourner à ma droite. Trop fière d'avoir conduit à gauche avec légèreté depuis mon arrivée, le petit dieu Mercure m'a punie et me voilà coupable d'une aile irlandaise froissée. L'affaire s'est traitée avec la plus sereine des amabilités et force affirmations que tant qu'il n'y avait que de la tôle froissée, rien n'était bien grave.
5) J'aurais pu prendre aussi la photo de cette cuisine d'un poste de la Garda, où le sergent nous offrit le thé et des biscuits au gingembre, avant de nous assurer que tout était allright, que les assurances allaient faire leur boulot et que puisque nous avions le temps, il nous conseillait fortement d'aller à Kilaloe, parce qu'on mangeait au "Goosers" une excellente nourriture de pub face à la rivière.
6) Ou bien encore, ce couvre-théière dans la vitrine de Lehinch qui disait :
Tea is the answer. Who cares the question?

18.4.10

carte postale

Juste un petit mot d'Irlande, en passant, pour vous dire que ce blog reprendra à mon retour.
Bien à l'abri des cendres, venue en bateau et quelque peu envieuse de ceux qui auront à présenter un cas de force majeure à leur employeur pour justifier le fait de rester.

L'Irlande est une substance psychoactive à effet immédiat et à accoutumance rapide chez les sujets prédisposés.

Le Connemara est impossible à visiter. Non pas tant à cause de ses routes étroites et défoncées, mais parce qu'il vous force à vous arrêter à chaque tournant. Le maximum que nous ayons tenu entre chaque pause est de 17 minutes.
Le minimum, une minute trente.
Parce que vu d'en bas, la lumière dorée sur le lac n'était vraiment pas la même.

Même M'zelle Zuzu, pourtant fortement prévenue contre toute espèce de mouton : " Un mouton, c'est con, a fini par craquer. Les brebis qui broutent les talus sont toutes suivies de minuscules agneaux de quelques jours, qui craignent moins la voiture que la voix humaine. Ils ont raison de se réfugier en bêlant et en trottant de toute la force de leurs 4 allumettes noires.
Au bout d'une heure, elle était prête à en embarquer un dans chaque main.
Et puis le temps radieux, le ciel, l'eau noire, le vieux pont de l'Homme Tranquille...

Bon, je vous laisse.
J'ai une Guiness à boire.

11.4.10

Ça chie dans le ventilo.

J'aurais pu faire plus littéraire et dire qu'enfin, à l'UMP, on commence à dire que le roi est nu.
Et dès lors que que l'on commence à chuchoter ce qu'on s'est si longtemps interdit de penser, il n'y a qu'un pas pour pouvoir dire qu'il est non seulement nu, mais en plus, pas aussi bien foutu que les tâcherons préposés à l'effacement des Bourrelets Royaux des "Coins de rue et Images Immondes" voulaient bien nous le faire croire.
Le dogme de l'Infaillibilité poncifiante a vécu.
Longtemps, je me suis interrogée sur le silence et la soumission d'individus de droite somme toute plus intelligents et sans doute plus fondamentalement républicains que leur monarque. Mais on n'est pas Ministre de l'Intérieur durant des années sans acquérir quelques notions de bondage. Sans être une acharnée partisanne de la théorie du complot et du tous pourris, je dois quand même dire que je le soupçonne d'en tenir un bon paquet, bien serré avec un fil de soie.
Un bon paquet. Mais à sa manière à lui, avec ce qu'il voit et perçoit du monde. Or donc, si tu n'es pas un puissant, un du premier cercle, à tu et à toi avec les financiers, le cénacle bruyant et brouillon, tu n'existes pas.
Je crois qu'il n'a pas vu venir ce qui vient, non plus du petit noyau de fidèles fascinés ou des courtisans soumis. Il n'a pas vu l'immense cohorte des petits élus qui risquent la perte d'un siège autrefois solidement arrimé à une province qu'ils ne désirent pas quitter.
Il n'a pas vu que non seulement sa griffe ne s'étend pas sur tous les députés, conseillers généraux ou régionaux, maires ou adjoints, mais encore que ceux-ci étaient les mieux placés pour entendre sur les marché, les volées de bois vert que leurs anciens électeurs adressaient au gouvernement. Ceux-là n'ont rien d'autre à perdre que leur territoire d'élection, sont bien souvent plus propres que leurs chefs et ont compris que le nom du président sur une affiche est une formidable machine à perdre.

Si en plus ils sont jeunes et maîtrisent les réseaux, ils se lâchent. Sur le bouclier fiscal, l'effarant vaudeville de la rumeur, le bling-bling, la taxe carbone...

Vu de l'autre bord, c'est assez réjouissant. Un peu agaçant aussi, parce qu'on meurt d'envie de leur demander ce qu'ils font dans cette pétaudière et pourquoi ils ne se sont pas aperçus avant que cet homme là ne voyait pas plus loin que son nombril et qu'un politique nul en histoire, pauvre en géographie, fermé à la sociologie, dont la culture s'arrête à Bigard et le sens de la justice à la couverture d'Ici Paris, fait un sinistre présidentiable.

Mais je me reprends, en me rappelant que non seulement j'admets qu'on puisse être de droite, mais en plus qu'ils sont les mieux placés pour nous débarrasser, radicalement de cette calamité.
on dirait que même Juppé, prudent comme une couleuvre, a senti le vent...

10.4.10

Signes indéniables de printemps



Après les maquereaux grillés dehors, j'ai fait la sieste au soleil. Ça tweetait à bec que-veux-tu au dessus de ma tête. Il y avait des tuiuiuiui-huithuithuit, des touiiiii-touiiiii et des ricanements de goélands qui méprisent le petit peuple des arbres.


J'ai jeté mon vieil atlas routier démantibulé, amputé de nombreuses côtes, et acheté une nouvelle édition. Celui là me servira pour atteindre Cherbourg. Celui d'Europe fera l'affaire pour me perdre sur les routes étroites du Connemara. Je prévois des sacs de couchages à mettre dans la voiture, une réserve de soda bread et de vieux cheddar.


J'ai acheté du tissu.

Je dis beaucoup de bêtises avec la Clandestine qui chantonne :
La Clandestine : On a du tissu lulu
Moi : ça nous fait du brin à coudre.
La Clandestine : ouais, on a du lin sur la planche.
Moi : Et un voile dans la main.

C'est idiot.
Mais c'est le printemps.
Demain, je vais à la plage.

8.4.10

Encore un témoignage de l'Insécurité Grandissante


Nous ne pouvons rester éternellement aveugles et muets devant l'insécurité qui sévit jusque dans les provinces les plus reculées.
Aujourd'hui même, tout de près de chez moi-chez moi d'ailleurs- deux petites vieilles ont été trouvées.
Sauvagement étêtées.



On recherche activement un homme en pantalon rouge passé, répondant au sinistre surnom de "Pêcheur".
Parce que franchement, au four avec un filet d'huile et des petits légumes, c'est bien bon, la petite vieille.

6.4.10

Le métier que j'ai évité.


Aujourd'hui, j'ai compris comment on devient gourou.

Je connais G. depuis 6 mois. Je la rencontre toute les six semaines environ, à l'infirmerie parfois, mais souvent ailleurs, dans mon petit bureau déclassé. Même loin, même moche, elle y est plus libre pour parler que sous les murs de l'endroit terrifiant qu'est devenu le lycée.
Ce n'est pas qu'elle refuse d'y aller. Elle se lève même presque tous les matins pour y venir. Et plus elle pâlit, elle tremble et elle se recroqueville.
Bien sûr, ça parle d'autre chose. Bien sûr, je n'aurais sans doute jamais accès à ce dont ça parle, parce que l'essentiel devra se dire ailleurs que dans mon bureau.
Qu'elle le veuille ou non.
Et justement, elle voudrait que ce ce soit là. Elle ne veut plus parler au psychiatre. Elle voudrait que je la prenne en charge, elle, son passé infiniment douloureux, son regard qui part à la fois de côté et en dedans.
Mais G n'est pas seulement triste, ni même anxieuse. Et mon souci n'est pas que de la faire revenir à son statut d'élève. Quelque chose en elle n'a pu se déployer. Et si parfois, elle se pétrifie, comme je l'ai vue faire, ce n'est pas devant un spectacle qui s'offre à elle, celui d'une cour banale avec des camarades ni pire ni meilleur. C'est devant un gouffre sans image, sans mots, hors d'atteinte.
Je ne sais pas si elle ne veut plus voir son psychiatre parce qu'il s'est approché trop près de ce qu'elle fuit, ou bien s'il est laid à pleurer, ou sinistre. Peut- être même bouché à l'émeri.
Mais je ne peux pas la laisser se leurrer à mon sujet.
Je lui explique doucement que c'est à celui qui la soigne qu'elle doit expliquer pourquoi elle ne veut plus venir. J'essaye de la rassurer sur le fait qu'il ne se froissera pas, qu'il n'est pas là pour cela, qu'un médecin n'est pas vexable. Et que c'est peut être justement, en disant ce qui ne lui va pas, qu'elle s'offrira peut être la chance de faire alliance avec lui.
Et cette grande jeune fille lève les yeux vers moi, ce geste si anodin, si difficile pour elle. Elle aquiesce, comme une enfant qui a décidé d'être sage.
Elle est avec moi sans aucune méfiance, sans aucun recul. C'est comme si elle ne pouvait me cacher que ce qu'elle ne sait pas elle-même. Chacune de mes paroles semble tomber dans une attente de novice. Elle m'épuise. Je l'aime bien, mais elle m'oblige, par cet abandon rarement rencontré, à une constante vigilance sur ce que je dis.
Quand elle part, je m'aperçois que j'ai un geste caricatural, un de ceux qui, dans une série télévisée, signe à coup sûr le médecin et du genre soucieux. Je laisse tomber mon menton dans mes mains et je soupire.
Heureusement que la nature m'a fait d'une grande fainéantise et que la charge d'âme à manipuler est un passe-temps finalement bien plus coûteux en énergie que rentable en joies.
Elle tenterait un diable débutant.
G finira par s'éloigner de mon rivage. Je n'ai finalement qu'une activité saisonnière, rythmée par les rentrées, les changements d'établissement, les échecs disqualifiants ou les réussites porteuses d'ailleurs.
Je croise un peu les doigts pour que G. ne rencontre autour d'elle que des paresseux et me souhaite, par là même, d'atteindre un jour le stade de bienveillante feignasse qui, dans l'ombre de mes rêveries, me sert d'imaginaire gourou.

2.4.10

Avouez

qu'une blogueuse qui titre
"Réouverture des maisons closes : la burqa y est interdite"
mérite une visite.
C'est chez Zoé Lucider et c'est un très chouette blog.

1.4.10

Espars


Le post de samantdi, ce qu'elle écrit en commentaire fait remonter à ma mémoire un souvenir professionnel. Un de ces temps où je ne savais si la pièce était-elle ou non drôle, où il me semblait errer dans d'étranges corridors, alors qu'autour de moi, de jeunes et sûrs apprentis médecins semblaient avoir trouvé les portes et tourné le dos à leurs incertitudes.

Dans ce stage de psychiatrie, le médecin-chef était drôle, légèrement barge, attentive et mordante avec les internes, attentive et chaleureuse avec les patients. Je sus plus tard qu'elle était alcoolique. Et maintenant, je sais comment l'ironie et l'impérieux besoin de déranger la fatuité sont les oripeaux d'un espoir pudique et inquiet.
Dans ce service, hors le tout venant d'un secteur ni mieux ni plus mal loti que les autres, il y avait une unité de grands chroniques.
Les grands résidus de l'asile, quasiment sans paroles, de moins en moins impulsifs, moaïs ébréchés et bavant, totons sourds, oscillant sans fin autour d'un carreau de carrelage qu'eux seuls voyaient différent.

Le médecin, appelons-là le Dr K. les voyait une fois par semaine. Admise, en observatrice, j'ai mis du temps à comprendre ce que pouvait être l'échange entre cette femme aux boucles d'oreilles soigneusement excentriques et ces hommes si régressés. Et puis un jour, j'ai compris qu'elle n'espérait pas d'autre traitement que celui de les ré-humaniser et de leur redonner les fragments de l'histoire qu'ils déroulaient en aveugle devant des soignants trop blasés ou trop blessés pour y faire attention.
Un à un, elle ramassait ce qu'ils avaient donné à voir :
" lundi, vous avez mangé de la purée. Vous aviez l'air d'y prendre plaisir.
Samedi, votre tante est venue vous voir.
Jeudi, vous avez craché votre médicament"...
Il n'y avait ni blâme, ni demande de réponse dans son ton. Il y avait une profonde douceur, une empathie inaltérable, une patience qui savait s'arrêter aux manifestations d'agitation ou de détresse.

La perception aigüe, sans doute-en tous cas, c'est ce qui me fut transmis- que l'ultime offense est la disparition du témoignage de votre existence, si ténu, si trivial soit-il.
En s'astreignant à cette rituelle mélopée, elle contribuait à diminuer leur angoisse, mais aussi celle des soignants. Car vient un moment, après 10 ans de purée coulant au commissures, où l'on ne voit plus la raison de continuer, où le geste, de las, devient brusque, où la rancœur cristallise en impulsion haineuse.
C'est alors le moment du désespoir.
En parlant les satisfactions minuscules, les accrocs du quotidien, les minimes modifications de comportement, mine de rien, elle avait réussi à faire baisser les doses de neuroleptiques de façon frappante.
Je lui dois beaucoup.


Ce que dit Samantdi est loin de cette terrible réalité. Mais il est question d'usure, de répétition, d'impasse. Comment redonner du souffle, quand on a l'impression que rien n'arrête la machine à broyer, rien ne sauve du gâchis, que la taule est le seul horizon annoncé, que le reste de la famille risque l'effritement?

Ecrire, dit Samantdi, en écho à l'une de mes interrogations. Ecrire les paroles du père qui est le seul de la famille à ne pas avoir fait de prison, écrire les paroles de l'oncle qui a renoncé un jour à ne faire qu'y entrer et sortir, écrire les paroles des petits qui ont assisté à l'arrestation du grand frère, écrire les parcelles, qui remontent à la surface, comme arrachées aux restes de naufrages, mais aussi écrire ce qui l'a soudé à cette famille.

Ecrire. Lui, eux, nous, de toutes façons, en seront plus humains.