31.8.09

Figures imposées.

Décidément, je suis inapte aux figures imposées.
Pas rétive,non : j'ai beaucoup affecté de l'être pour masquer une véritable impossibilité à tenir longtemps un canevas à l'avance établi.
Je m'y empêtre, la langue s'alourdit, la poussière se dépose, les cartes se perdent.
Il faut et je soupire. Il faudrait, le remord pointe et je prend le premier chemin traversier.

VOYAGE


Voilà que ce récit de voyage s'étiole, alors même que le voyage lui même continue son sillage enfoui, qu'il en remonte encore au fil des semaines, d'étranges fleurs, figures libres d'un souvenir en train de faire mémoire, en s'agrégeant comme naît l'atoll, de proche en proche, de loin en loin.
Peut-être aussi que ce qu'il y a à partager de ce voyage, c'est qu'on peut vivre très profondément qu'il n'y ait rien à en raconter.
Ou bien par bribes, comme ça, échappées du bistrot de la cale, tard le soir.
Oui, oui, en regardant loin derrière la glace du comptoir...
Rien à raconter, parce que rien, jamais, ne m'a imposé de me trouver un jour de juillet septentrional, dans ce port démesuré et presque vide. Seuls quelques ilots marquaient quelque activité. Là où la vie était, elle était volontiers frénétique, mais elle ne suffisait pas à éteindre le silence des entrepôts déserts.


J'ai croisé du sel, du bois, des hélices de navires qui avaient l'air de jouer à la guerre des étoiles. Des cuves à gaz flambant neuves partiraient un jour pour Abu Dhabi.
Les mêmes, rouillées jusqu'à l'os, iront à Karachi.
Il y a décidément plusieurs trous du cul du monde dans le monde.

L'un d'eux était ce port de Gävle, où j'ai voulu prendre la photo la plus terne de toute mon existence, parce qu'il n'y avait rien à faire ici et où j'ai dansé dans la caverne de sel parce que je m'y suis sentie légère et drôle comme jamais.



FAMILLE

"Où est-on mieux qu'au sein de sa famille?"
"Partout ailleurs!" s'esclaffait ma grand-mère qui préférait vraisemblablement Bazin au bassinant Marmontel.
Longtemps, j'ai fui les réunions de famille. Figures explosées, sauts périlleux dans le vide, juges impitoyables, notes truquées. J'ai attendu de prendre de l'âge, pour regarder avec plus d'humour, l'enfant que je suis encore, tout à tour reprendre et tenter de se défausser des vieilles marques, des antiennes connues, des bastions trop souvent défendus. N'en finit-on jamais avec le besoin de réparation?
Allons, on aménage, on desserre quand même les tenailles rouillés. On ne s'offusque presque plus et quand on ne tient plus le trop grand bruit, on s'en va.
Et puis, au bout du bout, ne viennent finalement plus que ceux qu'on aime, d'une tendresse qui n'a plus rien à voir avec les obligés.

Cette année fut belle. Sans doute parce que la figure imposée, c'était justement de s'inventer d'autres rôles. Durant notre familiale, épisodique et aléatoire "semaine de création", nous avons servi des textes que nous aimons, nous nous sommes déplacés, décentrés, pour dire mieux et nous y avons gagné chacun une part supplémentaire de liberté. Celle-ci est venue sans ses enfants, lire une vieille lettre ensevelie dans une armoire et dans l'évitement du choix, celui-là a raconté la triste sardonique histoire d'un employé modèle, Diogène a joué du chien à poil dur et j'ai joué avec un couteau sans spécialité. Il fut aussi question d'un mal aimé, des hommes que j'aime, d'un chant général, de Salvador Puig Antich et de la voix déchirante de Benjamin Fondane et d'autres beaux mots comme des vieux potes ou de fulgurantes rencontres.
C'était vraiment bien.

Ce qui tendrait à prouver qu'avec un peu de poésie, la vie, c'est pareil, mais en mieux.


TRAVAIL:

Ils vont me demander de parler de la grippe. Je crois même qu'ils vont me demander de montrer comme les hôtesses de l'air, comment on met et on enlève un masque chirurgical.
Je vais essayer de ne pas rire.

13.8.09

Voyage en bleu

J'ai été tagguée par Gilsoub en bleu et en sept.
Voilà donc sept petits bleus de mon voyage.
Un bleu grue:


Un bleu corvée. Ou bien, c'est selon, l'ultra-chic marin qui assortit les pelles aux manches à air.


Du bleu container :

Et celui-là, une dédicace à Yves.



Du bleu à la dérobée, à l'ombre de la cargaison.


Le bleu impassible de l'attente au large de Kaliningrad. Nous dansions doucement sur l'ancre et attendions le pilote.

Le bleu nuit de l'arrivée à Gävle, dans ce chenal si étroit que nous aurions presque pu toucher les balises de la main.

Comme toujours, la prend qui veut! Meerkat, un petit chat bleu? Du bleu, déjà plein chez Boutoucoat,mais elle en a sûrement en reserve. Still?

11.8.09

Embarquement 4.


Sans doute n'est-il de voyage absolu que dans la contemplation.

Quelqu'un vient. On échange des mots. Et bien qu'il soit question du pays, là-bas, de ces Iles Philippines semées sur la mer, on est déjà sorti de la géographie.
Les mots, doucement, vous arriment, vous suturent à l'histoire.
Le second regard sera différent.

8.8.09

Embarquement 3.



Le voyage, par un paradoxe, commence à l'escale.
Et l'escale, autre déplacement de l'habitude, n'est en rien du repos.
Très tôt et jusqu'à très tard, une multitude de véhicules sillonnent le terminal, de toutes couleurs et de toutes tailles.
Il y en a de très petits, véhicules de sécurité d'un rouge éclatant, des tracteurs pour amener et retirer les échelles de coupées, des camions citernes, d'immenses faucheux qui vont chercher les containers et...
De souriantes grenouilles qui les transportent à bord :


Parfois, cela travaille aussi coté mer : ici, cet homme concentré écoute son tuyau de vidange d'huiles usées.


Tout ceci forme une tornade disciplinée, une agitation méthodique où tout est prévu et rien, jamais, ne doit être laissé à la routine.
Le chargement des containers dépend, non seulement de leur port d'embarquement, de leur contenu et de leur poids, tout autant que de leur destination.
Tâchez d'imaginer, vous qui, comme moi, avez certainement toujours besoin du dernier de la pile, ce gigantesque jeu de pousse taquin. Il ne doit pas seulement être joli à l'œil : il doit être équilibré, quelque soit le temps, se défier de l'explosif et de l'inflammable et être prêt au déchargement avec le minimum d'effort.

Les dockers, si vite qu'ils aillent à terre, mettent une surprenante délicatesse à l'opération de grutage. Comme s'ils mettaient un point d'honneur à n'ébranler que très doucement le bateau.
Plus encore que le roulis, je crois que c'est ce mouvement qui a imprimé en moi une sensation que je découvre destinée à une durable nostalgie.
Le plus troublant, dans ce voyage, ce n'était pas d'être seule femme au milieu d'un équipage d'hommes. C'était, allongée sur ma couchette, de découvrir qu'un bateau qu'on charge a le même mouvement ample et doux qu'un lit où on fait l'amour.

6.8.09

Lazy Woman

"Lazy woman!" me dit l'ami Max en arrachant les mauvaises herbes à ma place.
Mais mon ami Max, qui refait un, non, deux bateaux, une grange en ruine, un vieux fourgon et héberge le cheval de sa fille, n'a définitivement pas les mêmes critères que moi.
Toutefois, il a raison. J'ai tout juste lavé mes p'tites brassières de voyage. Les photos sont en vrac dans l'ordinateur, les posts à moitié rédigés, j'ai pas appelé mon pôpa, ni fait les bagages de miss Bibi.
J'ai l'impression qu'il fait soleil absolument partout dans le monde, même la nuit, sauf chez moi.
Il fait un temps à bronzer sous la couette.
Qui m'aime m'y suive, tiens.

3.8.09

Embarquement 2.



Dès cinq heures du matin, j'ai vu le port s'éveiller, bruire, puis sonner dans toute une gamme d'alarmes.
Il y a des portes, des avis impératifs en allemand et dans un anglais que je ne comprends pas, des barrières de sécurité, des interphones.
Il y a des gens qui vont et viennent avec l'assurance un peu appuyée de ceux qui, souvent, travaillent sous le regard des néophytes.
Il est vingt heures, maintenant, sur le quai de Bremerhaven, j'ai un peu moins de 1500km derrière moi et je vais pour la troisième fois en vingt-quatre heures demander si quelqu'un en sait un peu plus sur l'arrivée de ce cargo, prévue, selon diverses sources entre midi et minuit.
Il est vingt heures, je suis un peu perdue et bien sûr, pointe la question lancinante des voyageurs et des amoureux : fallait-il se donner tout ce mal?

Mais il y avait cette voix. Elle a troué ma solitude, m'a promis, non pas monts et merveilles, mais une place auprès de lui, la chaleur, la sécurité, le confort. Elle m' a dit viens, qui est sans doute le plus beau mot de toute langue, et je l'ai crue. Je suis venue, irrésistiblement attirée par les mystères enclos en quelques mots. J'ai franchi en aveugle des bois et des plaines mornes. .
Et maintenant, j'attends.
Vous avez dit, comme tous ils font, que vous rappelleriez. Je suis sûre, comme toutes elles le sont, que vous allez le faire.
Que vous ne vous seriez pas donné la peine de m'appeler du milieu de la Baltique, pour me laisser échouer, comme cet autre traître, sur le quai de ce terminal.
Oui, vous allez rappeler et, cher Capitaine, je prie à cet instant pour que vous ne ressembliez pas à votre voix et que vous fassiez pour de bon 1m50 et 110 kgs.
Et teutonniquement chauve.
S'il vous plaît.




Le Reinbek est à quai. On m'invite à rouler ma valise jusqu'à un portillon, qui ne s'ouvrira que lorsque que la navette chargée de me déposer devant la passerelle, arrivera.
Le shuttle est un vrombissant petit insecte noir et blanc, efficace et indifférent. Il m'expulse sans un mot juste devant un immeuble de dix étages encore plus long que haut.
Trois sourires, trois poignées de main, quatre escaliers raides comme des volées hollandaises et me voilà temporairement propriétaire de 12 m carrés de liberté à la fois circonscrite et presque totale.
Fort bien insonorisée des vibrations aériennes, je peux y dormir toute la journée s'il me plaît, m'y exercer à l'opéra ou au poirier, lire, rêver ou vous écrire, personne ne viendra m'y déranger.
Le plus difficile, finalement, aura été de franchir cet espace hérissé d'inconnu qu'est un terminal de containers.
Maintenant, je sais, je parle la langue, j'ai été admise. J'en ai une enfantine vanité et le cœur battant.


Ah oui : le Capitaine est charmant. Son petit garçon aussi.

1.8.09

Embarquement.


Le voyage en cargo, finalement, n'est rien d'autre qu'une forme de retraite laïque.
Comme à la Trappe, on y entrera avec l'espoir vif, un bagage bien trop abondant pour l'usage véritable qu'on en fera, la promesse fervente et naïve d'utiliser ce temps pour aborder enfin des territoires intellectuels trop longtemps négligé, un peu d'appréhension, un peu de coquetterie aussi.
Et comme au couvent, la question " comment vais-je penser au mieux durant ces deux semaines?", masquera des interrogations, infiniment plus prosaïques, mais certainement plus sincères : "Vais-je m'ennuyer, seule avec moi?", "Est-ce que je ne vais pas en avoir absolument assez au bout de deux jours?", et par dessus tout : " comment vais-je manger?"

Très bien.
Sobrement, abondamment et avec une régularité de métronome.

Par contre, je n'ouvrirai que rarement ma méthode de breton, pas du tout ma boîte d'aquarelle. Quand au livre de Damazio, je l'ai tout simplement oublié à terre.

Mais alors qu'ai-je fait?

J'ai regardé la mer, j'ai déniché tout les recoins à l'abri du vent mais exposé au soleil, j'ai pris des centaines de photos, j'ai parlé, peu, mais bien, dans un anglais aussi approximatif que celui de tout le monde.

J'ai écouté en moi, une somme considérable de minimes apaisements.

J'ai cherché des îles dans la brume légère, j'ai tâché de deviner la destination d'immenses bateaux dessinés sur la ligne d'horizon comme des jouets de grands.
Je ne me suis pas ennuyée une seule seconde.

Il ne s'est rien passé.

Rien, et pourtant, je vais tâcher de vous faire partager ces temps du cargo, temps d'ailleurs et d'autrement, temps marqués par l'attente, le rite et la veille. J'ignore absolument comment je vais m'y prendre, j'ignore ce qui vous parviendra, hors la mer, du vent, de la fascination du sillage sans cesse ourlé, de la vibration chaude et retenue des moteurs puissants, des gestes mesurés, de la parole brève et de la tâche bien faite.
Mais je vais essayer.