29.2.08

A lire

Trouvé chez Ecriveuse, l'interview, remarquable de pertinence d'un p'tit jeune qui a l'air d'en connaitre un bon bout sur la politique actuelle.
Juste un petit extrait pour mettre en bouche:
"Fausses clés bien faites. Tout est là… Il ne reste pas un moment tranquille ; il sent autour de lui avec effroi la solitude et les ténèbres ; ceux qui ont peur la nuit chantent, lui il remue. Il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète."
Merci à écriveuse d'avoir déniché cette pépite.

28.2.08

Rose


Le pendant féminin de Salvatore, c'est Rose. Rose des rosiers. Elle en avoue quinze dans ce minuscule jardin, mais pour ma part, j'en ai bien compté dix-neuf, sans même parler de la pouponnière aux boutures.
Mais je lui garderai le secret-puisque Salvatore ne surfe pas sur le net.
Il faut dire que ce couple soudé depuis près de soixante ans n'a qu'un seul et durable motif de discorde : les places respectives de ce qui se mange et de ce qui s' hume.
Chaque mois de Février voit surgir un nouveau Yalta destiné à garantir la place au soleil de la fleur et du fruit, de l'aromatique et du légume.
Rose défend le ravissement éphémère de la Pivoine et la spontanéité de la Giroflée, plaide pour le Zinnia et jure de modérer le Dahlia.
Parfois, en bonne méditerranéenne, elle lève les deux mains et la voix tout ensemble- et les voisins peuvent alors prendre pari sur le nombre de pieds d'Alouette.
Mais on sait bien que lamento d'une part et bougonnement d'autre part ne sont que les éléments d'une liturgie admise de longue date.
Car de même que Salvatore mettra un soin tendre à enrouler un fragment de bas filé autour d'un Madame Meilland blessé par une rafale, Rose, à la cuisine, servira les légumes avec une constante loyauté.
Parfois même avec génie. J'ai goûté chez elle des plats au sens propre incomparables, puisque je ne les ai jamais retrouvés ailleurs. Des pâtes au pousses naissantes de fenouil sauvage, accompagné de parmesan et de mie de pain grillée et légèrement caramélisée, des aubergines piquées à l'aiguille à tricoter, et farcies d'infinitésimales lamelles de jambon cru, d'anchois et de fromage qui font de chaque bouchée une variation sublime sur un même thème.
Alors, avant le printemps, peu importe, finalement, l'étendue des discussions. Il y aura, chez Rose et Salvatore, du goût, de la couleur et du parfum, le velouté d'une framboise et celui d'un coquelicot, des abeilles en justaucorps et des fuschias en tutu, l'odeur de la lavande et celle des feuilles de tomate.
Et ma dernière née, barbouillée de fraise, apportant religieusement un ver de terre au compost de l'un, ou une coccinelle au rosier de l'autre.

26.2.08

salvatore


Un jour, j'écrirai un livre avec Salvatore. Ça s'appellera "101 façons d'utiliser un bas filé de ma femme, à la maison et au jardin".
Salvatore sauve.
Tout. Des chaises hors d'âge, des ferrailles exténuées, des plantules souffreteuses, des échelles sans montants et sans barreaux, des tabourets perclus, des petits pots de bébé, des lits démontés, des récipients de toutes sortes. Des mal vissés aussi, d'ailleurs, mais c'est un sujet sur lequel il est infiniment moins disert que sur son jardin ou son atelier.
Chez Salvatore, tout se transforme tôt ou tard. Ses trouvailles, organisées par couches comme les villes mortes de Mésopotamie, murissent parfois pendant des années, avant de trouver l'emploi qui les oscarisera à jamais.
Il fait son pain dans des plaques d'offset habilement tuilées, ses pieds de table dans des montants de portes, ses crémaillères dans des pieds de table. La porte de son four s'orne d'une poignée de bois, doucement arrondie, polie par son ancien usage de montant de brouette. Les salades poussent en caissettes suspendues sur des escabeaux, ou bien dans des paniers-à salade, bien sûr- suspendus sur un fil à linge. Les tomates sont montés sur roulettes de berceaux, et promenées le long des rayons de soleil. Faute de place, les potirons sont invités à escalader l'amandier. Les dites cucurbitacés, devenues lourdes, seront étayées de combinaisons bizarres, où le manche à balai et la traverse tiennent une place de choix.
A plus de quatre-vingts ans, il s'émerveille encore de l'aide que lui apportent les vers de terre et les oiseaux. Lui qui, sans cesse comme eux, absorbe, déplace et métabolise le moindre brimborion, ne dérangera jamais la graine apportée par le vent ou la mésange. Tant pis si le rang de fraisier se trouve désorganisé par le basilic imprévu, tant pis si la bourrache prospère entre les poireaux.
Les bas filés? Ohhh, piège à guêpes, pansements d'arbres, poupées de chiffons... Et c'est tout. Vous ne voudriez pas que je vous livre d'avance toutes mes bonnes feuilles, hein?

( une photo de la boulange de Salvatore est sur lookskedenn)

25.2.08

Faire avec.


A considérer d'un peu plus loin la catastrophe, celle là ou une autre, il y a deux écueils, l'un comme l'autre mortifères. Le premier, c'est le révisionnisme, qu'il prenne la forme d'un déni ou celle d'une froide rationalisation visant à évacuer l'insupportable tension du vivre amputé.
L'autre écueil, qui est un danger rampant comme une pointe d'iceberg, qui déchirera ailleurs et plus tard, c'est la rente du malheur. Une forme asphyxiante de prise de bénéfice, qui vous dispense momentanément de toute autre forme de négociation avec le réel.
Comment énoncer sans falsifier?
Comment, dans le choix des mots, laisser toute sa place à ce qui a été perdu, sans que cette place vacante soit un trou noir? Ou, pire (à mes yeux!), l inépuisable source d'une plainte qui finirait par se savourer elle-même?
Comment laisser les brèches fermenter selon le déroulement de leur histoire naturelle, sans les suturer de force, sans les aviver perpétuellement?

Je ne suis pas sûre d'y arriver à la mesure de ce que j'en espère. Je vois bien juste en l'écrivant, comment cette question toute personnelle, est aussi l'un des ressorts de ma vie professionnelle. Comment l'énoncé attentif, respectueux, de ce qui trouble, de la perte, du déficit, du deuil, du viol ancien, est ce qui permet aussi, fondamentalement, de parler d'autre chose. Ce n'est jamais, ni linéaire, ni fini. Il y a des accrocs, des retours en arrière, des imbrications. Des apitoiements, des points de butées, des explosions de colère, des vertiges devant ce qui reste à parcourir.
Mais quand quelque chose travaille pour faire de nous, chaque jour un peu plus le porteur de cicatrices et chaque jour un peu moins la victime, alors nous avons une chance, comme le chantait si bien Ferré, que notre "(...) Passé nous laisse passer".

C'est la Justice qu'il faut statufier, pas La Victime. Immobiliser cette dernière dans un statut indéboulonnable- Messieurs et Mesdames les Victimes sont priés de rester à disposition de la Justice- c'est les condamner, eux aussi, à une peine sans fin.




(je voulais faire réponse à vos commentaires de mon post du 19/02, et puis c'est devenu cela. Et hop! une démonstration par l'exemple de ce que donne la fermentation spontanée! Je laisse donc en place tel que. mais vous aurez compris à quel point vos réactions pleines de chaleur m'auront touchée, puisque je vous livre, ici, probablement l'un de mes principaux piliers. Je vous embrasse)

20.2.08

Aller à Thouars

Ce blog va être tributaire de connexions de grands chemins durant quelque jours. Ce post est juste destiné à vous faire prendre patience et à remercier de vos commentaires sur le précédent. Je prendrais le temps d'aller au coeur des réponses que je voudrais vous en faire, plutôt que de laisser l'urgence en faire d'aléatoires.
A tout bientôt

19.2.08

Question sans réponse

Chez moi, il y a ce bout de tissu. Il ne m'appartient pas. Je ne sais pas vraiment ce qui, en moi, lui appartient.

Ce n'est pas à lui que j'essaie d'attribuer un sens, mais au silence pulsatile qui nous entoura, quand il émergea du fatras de papiers et de brimborions anodins qui suivit le décès de ma grand-mère.

Que faire d'une chose pareille?

Je l'ai pris entre mes doigts. Je pense qu'aucun d'entre nous ne savait qu'il était resté tapi là pendant quarante ans, aucun n'était prêt à supporter le cortège d'évocations qu'il pesait, minuscule chiffon, dérisoire objet. Cinq grammes et tant de silence.

Ai-je pensé, ce jour là, que le tenir entre mes mains était une chance indicible, parce que ceux qu'il avait désignés avaient survécu? Ai-je pensé à l'inconscience de ma grand-mère qui sortit en l'affichant, jusqu'à l'ultime limite de sa sécurité?

Récemment, je l'ai remis à ma fille pour une demi-journée, pour le faire circuler en cours d'Histoire, bien avant la lamentable sortie de notre leader boursoufflé.
Je sais que j'ai pensé ce jour là, au poids que l'enfance terrifiée de ma mère pesait sur sa vieillesse intranquille et paranoïaque. A hauteur d'enfant, si l'on veut votre mort avec tant de détermination, c'est qu'il y a en vous, quelque chose d'infiniment menaçant. Et vous ne pouvez savoir ce que c'est, puisque ne vous ne ressentez que votre propre faiblesse, votre propre besoin d'attachement. Il doit y avoir en vous un pouvoir CACHÉ d'une extrême puissance pour que votre existence, si frêle soit-elle, menace le Troisième Reich.
Est-ce à cela que ma mère doit de ne plus pouvoir vivre sans ennemi?


Ma fille m'a dit le silence dans sa classe, qui n'avait rien d'un refus d'entendre, le respect ému. Ces jeunes là ont quinze ans, et dans ce pays de mer où nombre de famille ont connus des deuils sans corps, pas un ne se serait risqué à un sarcasme. Qu'ont-ils saisi de l'entreprise délibérée qu'il y avait derrière ce morceau de tissu? Je n'en sais rien, mais je sais qu'ils furent sobres et dignes.
Elle m'a rendu l'étoile jaune, qui a rejoint le tiroir où elle continue d'être là.
Objet qu'on ne peut ni jeter, ni garder,ni exposer ni cacher, question qu'on ne peut ni résumer, ni esquiver.



(pour des raisons que vous comprendrez, cette photo n'est pas empruntable)

16.2.08

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Un très, très beau blog photo chez Kozawax. un oeil attentif aux griffures du temps, aux traces et aux strates. Lumière, poésie, humour et décalage. Tout ce qu'on aime, hein?

15.2.08

Quotas

Vingt-six mille.
Vingt -six mille à arrêter dans l'année.
Mickaël est un jeune agent de police soucieux, et ça se voit à son air concentré à la façon dont il vérifie son arme de service. C'est sa première opération d'envergure, et il a beau, comme un skieur, se répéter mentalement quelques figures imposées, il se demande comment il va réagir. Il jette un coup d'oeil à Regis. Lui c'est un ancien, il a pris Mickaël sous son aile, sans effusions particulières mais sans protester. Un pro, sans état d' âme apparent, mais qui lui rend son regard avec un petit sourire.
« -Inquiet?
Mickaël souffle, un peu soulagé.
-euh. Pas toi?
Régis se marre.
-Bah!!! C'est du gibier facile! Ça va brailler tout ce que ça peut, mais ça va se coucher très vite. Le plus dangereux, c'est les femmes. Elles vont chercher les yeux, n'hésite pas à baffer sec d'entrée. »
Le jeunot est surpris. Régis ne l'a pas habitué à ce genre de reflexions, ni à ce ton vindicatif.
-tu les aimes pas hein?
-Peux pas les piffer. Ça me débecte qu'ils s'en foutent plein la lampe sur notre dos, pendant que les autres bossent. Ma voisine, tiens, c'te femme, elle a bossé toute sa vie, elle bosse encore. Trop honnête, trop conne pour rester à rien foutre et à toucher le RMI, quatre gosses, et faut voir comment elle les tient. Et ben, elle a droit à rien, elle gagne trop pour la CMU, pour tout. Alors tu vois, ces parasites, faut les virer, et vite! »

Mickaël n'a pas le temps de répondre. C'est le signal, et à partir de là, tout va très vite. Le quartier entier a été bouclé. On encercle l'immeuble. Quelques coups frappés, pour la forme, et on enfonce les portes. Faire du bruit, vociférer, s'imposer dans les premières minutes. Tiroirs arrachés, renversés, on prend les papiers. Un homme à cheveux gris tente de sortir de son portefeuille, quelque chose qui ressemble à une carte, et s'entend dire « qu'on va lui faire bouffer, son torche-cul, qu'y vient , et qu'y ferme sa gueule »

Regis a menotté une femme, jeune et élégante, et la dirige vers le fourgon. Une fois de plus , Mickael est frappé par son expression inhabituelle, comme si son coéquipier prenait un plaisir personnel à cet opération , lui d'habitude si peu émotif.
Tout est terminé en quelque minutes. Dans ce quartier où chacun craint pour sa pomme, peu de réactions de l'environnement. Les têtes sont basses, quelques sanglots étouffés.

Dans le fourgon, Mickaël ne peut s'empêcher d'interroger son collègue.
« Franchement, ça te choque pas cette histoire de quota?
-Pas mon problème. Je peux pas dire que j'aime ça, mais ces trucs là, c'est politique. Moi, mon boulot, c'est d'arrêter des délinquants. Et y en a, parce que le seul truc qui nous guette pas, c'est le chômage technique.
-Arrête! Ça se voit que tu y a pris plaisir!
-Yep. Peux pas dire le contraire. Vingt six mille escrocs, fraudeurs du fisc, emplois fictifs, truandeurs de charges sociales, de salauds qui râlent parce que l'infirmière leur a mal parlé mais qui qui n'ont jamais versé un rond à l'assurance maladie, vingt-six mille rats en moins par an, non, y diront c'qu'y voudront, ça me fait pas mal au sein.
-Tu vas le dire à ta voisine?
Chose parfaitement inattendue, Régis rosit. Puis éclate de rire.
-Madame M'Ba? Oh là là! déjà qu'elle me bourre de poulet Yassa, dès que je ramasse le vélo de son fils , sur le coup, si je lui dit ce qu'on a fait aujourd'hui, je prends 5kg en un mois!
Et comme pour masquer cet accès de sentimentalisme, et alors que le fourgon quitte le quartier de la Défense, Régis se penche avec férocité vers la jeune femme qu'il a embarqué.
« Alors, tu frimes maintenant avec ton RMI et ton ISF! Salope!
-Euh.. Régis...
-Ah pardon, t'as raison, pas d'insultes."
Alors, avec un souverain mépris, Régis laissa tomber sur la femme muette et embijoutée:
« Tocarde. »




Toute ressemblance et tatatatata. Ceci est une pure fiction. Pour la réalité, c'est ici, et là.
Edit du 20/2/08 Tiens, pis là aussi, pendant qu'on y est.

14.2.08

Eduquons.

Madame L'inspectrice, Monsieur le conseiller pédagogique,

j'ai un problème pédagogique avec ma classe de CM2.
J'avais prévu vingt cinq noms d'enfants juifs pour les vingt-cinq enfants de ma classe.
Ce lundi, Yawinder, Aya et Gayané sont absents.
Apparemment, grand nombre de policiers sont venus ce matin au foyer, en bouclant le quartier et en défonçant les portes.

J'ai plusieurs questions.
Que dois-je faire de la mémoire des enfants qui leur a été attribué? j'ai des élèves de CM1 assez brillants, puis-je anticiper ce point du programme?
Que dois-je répondre à celui qui m' a demandé "Et vous, Madame, vous avez un nom de dame déportée à vous aussi? Et La Directrice, elle est près de la retraite, elle a un nom de vieux? Ou bien c'est les enfants seulement que c'était grave de les massacrer?"
Le petit M. D. a un gros problème de prononciation, il a du mal à prononcer le nom de Tsviel Kretchemsovtich. L'orthophoniste me propose de le remplacer par "Yuban". Mais c'est un prénom d'un enfant Aztèque éliminé au nom de Sa Majesté Très Catholique, Charles Quint. Est ce que cela vaut quand-même? Je sais qu'un de mes collègue, dans un cas semblable avait tenté le prénom Kaoui, enfant Beninois mort dans les geôles de Gorée avant son transfert dans la plantation d'un riche Baptiste, toutefois, il avait été desavoué par sa hierarchie.

Je sais que nous devrions disposer d'une mallette pédagogique éditée par le ministère de l'Identité Nationale, mais, je ne saurais dire pourquoi, elle a disparu dès son arrivée dans l'école.
En vous remerciant de l'aide que vous m'apporterez, je vous prie de croire, Madame L'inspectrice, Monsieur le conseiller pédagogique, à mes sentiments laïques, républicains et perplexes.

Madame Z.
Institutrice à l'école
Max Jacob
Rue n'oublions pas
2012 Ya Basta


PS: une question supplémentaire: on l'arrête comment?


La petite Juive

Dans ce monde borné de quel entre deux guerres
Où ceux qui font les lois les troussaient par derrière
Nous n'avions que cinq ans du pain sec au dessert
Pour cinq lettres de trop ou un pet de travers
On nous disait tu vois c'est la croix que Grand-Père
A gagné au Chemin des Dames et nos grands frères
Abandonnant le bleu pour un kaki douteux
Cocufiaient Madelon dans les bras de Marlène
Une fois l'an nous allions voir entre père et mère
La victoire en chantant nous ouvrir la barrière
Et nous nous en allions en suçant des bonbons
Jouer du revolver à deux sous le bouchon.

Et je me souviens, la petite juive
Elle me disait viens
Elle était jolie
On faisait des bêtises
Ou on ne faisait rien
Elle s'appelait Lise
Et je m'en souviens

Dans ce monde truqué de quelle drôle de guerre
Où ceux qui font le front le bradait à l'arrière
Nous n'avions que dix ans et dans nos gibecières
Une histoire de France qui tombait en poussière
On nous a fait courir, traverser des rivières
Sur des ponts d'Avignon qui dansaient à l'envers
Ça tirait par devant, ça poussait par derrière
Les plus pressés n'étaient pas les moins militaires
On nous a fait chanter pour un ordre nouveau
D'étranges Marseillaises de petite vertu
Qui usaient de la France comme d'un rince cul
Et s'envoyaient en l'air aux portes des ghettos

Et je me souviens, la petite juive
On lui a dit viens
Elle était jolie
Elle a fait sa valise
Un baiser de la main
Elle s'appelait Lise
Il n'en reste rien

Dans ce monde mort-né d'avant quelle autre guerre
Le Japon blessé lèche encore son cancer
Dans ce monde sceptique où ceux qui ont la foi
Ne savent plus si Dieu est devant ou derrière
Dans ce monde d'argent où la banque surnage
Comme une poisson ventru qui attend le naufrage
Nous n'avons que trente ans sainte horreur de la guerre
Et pourtant nous n'avons pas cessé de la faire
On nous a fait marner de Djebel en rizières
De Charybde en Scylla, de cuvettes en civières
Comme si nous n'avions pas autre chose à faire
Qu'à montrer nos fesses aux quatre coins de la terre

Et je me souviens la petite Juive
Elle me disait viens
Elle était jolie
On faisait des bêtises
Ou on ne faisait rien
Elle s'appelait Lise
Et je m'en souviens

Maurice Fanon

13.2.08

caramel diabolique


Quand elle ne sculpte pas, elle peint. Quand elle ne peint pas, elle photographie.
Et quand elle a fini de photographier... Elle tague!
Elle, c'est Still, et c'est elle qui me demande de vous livrer 6 trucs pas indispensables sur moi.
1) Il ne faut jamais prendre par le bouchon, une bouteille par moi refermée. Elle a toute les chances de se carapater sur le sol, vous laissant un bout de plastique dans les mains, et l'envie de me le faire manger. Je suis incapable de visser machinalement. Et je n'y pense jamais. Pour ça que je travaille avec des mal vissés.
2) D'ailleurs, en parlant de ça, un jour, mon chef m'a bombardé membre de la commission technique "déficients visuels" de la défunte CDES. Au bout d'un an, je me suis dit, que pour la petite-fille de deux aveugles et de trois émigrés, bosser comme médecin scolaire en ZEP, c'tait p'ête pas totalement du hasard. Ben, j'y avais JAMAIS pensé!
3) A quinze ans, mes cheveux me faisaient une tente si épaisse que je pouvais dormir dessous en classe. Tête baissée, impossible de savoir ce qui se passait sous le rideau.
4) Au sortir de la première nuit que j'ai passée dans ma maison, après mon déménagement en Bretagne, les goélands m'ont réveillée, et je me suis dit "tu es chez toi, chez toi", et cela faisait comme un chant votif.
5) Il y a, dans une forme d'insolence affectueuse que pratiquent mes filles à mon égard, quelque chose de profondément réconfortant et réchauffant. Je le vis comme un exercice de libre tendresse. Mais faut pas abuser, hein! (Des fois elles passent ici)
6) A cause du 1) et peut-être d'un tas d'autres choses, j'ai longtemps pensé que je ne savais rien faire de mes dix doigts. C'est Still, justement qui professe un mépris absolu pour les nullités auto-proclamées, qui m'a mis un crayon, puis un pinceau dans les doigts. Le résultat n'a pas été merveilleux, mais quand on m' a mis un APN dans les mains, cette fois, j'ai rien dit. Pis je suis partie me promener.

Allez, taggons, taggons! Mais on a le droit de faire comme moi au tennis, faire semblant de pas voir la balle...

Tassili, Oxygène, Fauvette, Meerkat, Yves, Léon ?

PS: je n'ai pas renvoyé la balle lancée par Moukmouk, qui me citait fort gentiment dans la liste de ses "make-my day" blogs. D'une part, il m'est difficile d'en choisir 10 parmi la liste à droite (encore que y en a des qui sont des make-my-month, hein LVN??) et d'autre part, parce qu'il y a avait ici, un post tout récent sur les nouveaux voisins qui me faisaient frétiller neurones et/ou zygomas.

12.2.08

Pendant la foire, la rafle continue.

En ce qui concerne le Clochemerle banlieusard actuellement dans toutes vos bonnes feuilles, le résumé le plus concis, je l'ai lu en commentaire sur le blog des mots et des débats , sous la plume d'Antonomase, tenancier du blog Esprit du vinaigre :
Donc, si on comprend bien, l'UMP a décidé de soutenir le candidat divers droite dissident qui allait (peut-être) battre la liste UMP et ce contre l'avis du représentant local de l'UMP qui se retrouve du coup en dissidence vis-à-vis de son propre parti.


La dernière fois qu'un feuilleton municipal m'a ainsi tenu en haleine éberluée durant plusieurs mois, c'était une minuscule commune de mon département, une sombre histoire d'épandage illégal, d'affichage sauvage, de conseillers municipaux démissionnaires en bloc et de mairesse partie en vacance sans rien dire en laissant quasiment les clés de la mairie sur la table de la cuisine. Faut dire qu'ayant porté plainte contre la mairie, comme présidente d'association, avant d'être elle-même élue, elle se retrouvait dans l'obligation de savoir si elle plaidait contre elle, ou si elle se défendait contre... elle aussi.
Ouf, nous respirons, la commune de T., ses 400 habitants n'ont plus le pompon du ridicule.
Mais Madame la mairesse, aussi à coté de la plaque qu'elle ait été, n'a jamais commandité des opérations de rafles d'étrangers déguisées en opération de lutte contre les marchands de sommeil.

11.2.08

Photos

Chez elle est folle (tellement pas, d'ailleurs-ou tellement bien...) un concours de photos d'intérieur.
Je dois être hors délai, mais en v'la quand même trois pour le plaisir.



Moins de souci hygiéniste dans cette photo, que le plaisir de la récolte sur les grèves.













Une théière parmi une trentaine, toutes de rencontres, théières de hasard ou de clin d'oeil. Celle-ci est l'une des dernières venues, dans les mains d'une amie délicate. A la place, il y aurait pu y avoir deux tasses, d'une autre délicate.











Et puis, celle-là, c'est pour saluer Tili.




Chez Gilsoub
et Jathénais, des histoire d'eaux.


Alors, une opportune renverse de courant. Tirant sur le rose.

Paysage, avec figure

Comme le paysage m'ennuyait, j'y mis du chameau
Henri Michaux
Ici, rentrer chez soi au couchant d'hiver, c'est voyager dans un paysage subtilement illustré. Sur cette route de Lorient à Quimper, il y a quatre, non cinq arrière-plans qui vont du mauve à un très doux brun gris, comme n'importe quel livre d'aquarelle vous l'enseignerait.
Le peintre, d'ailleurs, risquerait de faire la moue devant votre ciel, trop rose en bas, trop bleu en haut, si peu vraisemblable, voyons!
Mais les arbres? les arbres sans feuilles dessinés à la plume d'oiseau, les ramures doucement croisées, posés précisément sur une crête pour qu'on puisse admirer leur élégance de Février, juste avant que la mode ne change?
Et la trace en coup d'ongle de cet avion, n'est-ce point une rayure de l'objectif?

Mais comme on ne peut ni dessiner, ni photographier en conduisant, vous voilà obligés de me croire sur parole...
Et comme le paysage me ravissait, j'y mis un hippo.






(merci à Yves pour les corrections zorthographiques!)

10.2.08

Une lettre

Sur le site de Resf, et lue chez Oxygène.

sans vouloir transformer ce blog en décalque du site de Resf, je relaie cette lettre, parce que je la trouve limpide et forte.
Et puis parce que, comme Laure, je pense que ça suffit.

Laure Véziant professeur des écoles à Montélimar -

Je suis la maîtresse de Gevorg, le fils de Karin et Armen, qui est arrivé en Cours Préparatoire dans ma classe l'an dernier.
Je suis la maîtresse de Gevorg qui a disparu de ma classe vendredi 16 novembre en laissant toutes ses affaires, même ce gros bâton de colle dont il est si fier.
Je suis la maîtresse de Gevorg et d'autres encore dans la même situation, qui voient sa chaise vide tous les jours et qui savent que leur tour peut arriver.

Je suis la maîtresse de 22 enfants de 6 ans qui apprennent qu'en France un enfant peut être obligé de s'enfuir de nuit avec sa famille parce qu'il n'est pas français.
Je suis une maîtresse qui doit enseigner à 22 enfants, qu'on est tous égaux, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs, que les lois sont faites pour nous protéger, que c'est ce qu'on appelle les droits de l'homme dont on est si fiers en France.
Je suis une maîtresse qui doit arriver à faire comprendre à 22 enfants que l'on doit résoudre les problèmes en s'expliquant, et que lorsqu'on est dans son droit on sera écouté et protégé… « parce que c'est ça la justice, hein maîtresse ? »

Je suis la maîtresse d'autres enfants sans papiers qui me regardent faire l'appel sans Gevorg et qui continuent à apprendre à lire dans la langue d'un pays qui ne veut pas d'eux.
Je suis une maîtresse parmi tant d'autres qui devraient tous les jours essayer d'expliquer l'inexplicable, accepter l'inacceptable, et ravaler cette rage et ce dégoût d'être la fonctionnaire d'un Etat qui mène une chasse à l'homme abjecte et dégradante.

Aujourd'hui je voudrais vous faire comprendre à quel point mes collègues et moi-même sommes choqués par ces drames humains, par cette politique de chiffres, de pourcentages et de quotas appliquée à des personnes, des hommes, des femmes et des enfants.

Je voudrais vous faire comprendre à quel point cette souffrance engendrée par cette politique, devient ingérable, insupportable pour nous, comme pour les enfants et les familles concernées. Je voudrais vous dire à quel point nous avons mal devant ces bureaux vides, ces cahiers abandonnés et ces stylos que personne ne vient réclamer.

Je voudrais vous dire à quel point j'ai peur d'arriver en classe et d'avoir perdu Gevorg ou Alexandre ou un autre encore, parce que, non, ce ne sont pas des numéros ou des quotas, mais parce que je les connais, je connais leurs sourires, je connais leurs yeux.

Nous n'en pouvons plus de nous taire et de voir des familles en danger rejetées en toute connaissance de cause ! Nous n'en pouvons plus de nous demander en permanence ce qui va leur arriver là bas !

Nous ne voulons plus être complices de non assistance à personne en danger.

Je voudrais vous faire partager cette réflexion de William Faulkner : « Le suprême degré de la sagesse est d'avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue pendant qu'on les poursuit. » Alors merci à tous d'être là et de partager le rêve de Karin, Armen, Alexandre, Gevorg et Grigory leurs enfants : Vivre sereinement auprès de nous, venir chaque matin à l'école, et que ce rêve, avec eux et avec tous ceux qu'on veut chasser hors de notre pays, on ne le perde pas de vue.

9.2.08

Grammaire de la perte


Au plus aigu
Au coeur du déchiré
on voudrait que la douleur même reste entière
Intacte sur son fil tranchant
comme si ce qui pourrait
ce qui va nécessairement
s' émousser
emporterait avec lui
le vivant en nous

Aux enterrements
la première reddition
commence avec la première nourriture

regardez nous
Voyez la hâte chez celui-ci
précédant la perte
presque avidement
de peur de la subir,
le rictus avec lequel
il s'ampute

celui là
rué de tout son être
mendiant l'encore ou l'ailleurs
étreignant
ce qui dès lors
n'est plus
que la lointaine carte postale
d'un pays résilié


Cela, ce qui en en nous
s'arrime jusqu'au naufrage
ou détourne les yeux
ouvre les mains
en pleurant des larmes sèches
c'est peut-être notre plus intime mélodie
la plus personnelle de nos grammaires.

8.2.08

1972-sous le manteau


En 1972, j'ai neuf ans, et Tulving pose cette année là, dans un article qui fit sensation, les bases de la théorie de la mémoire épisodique. A cette époque, je m'en bats l'oeil.
Il y a un mur. Haut et long. Dans ma mémoire, oui, celle-ci justement, il me semble éternellement chauffé à blanc, outrageusement vertical, menaçant. La rue est droite, interminable sans repli ni cachette, et ma silhouette se dessine sur ce mur comme une cible. Je vais me dissoudre avant d'arriver, je vais me volatiliser, c'est sûr, alors comme tout le monde en pareil cas, je marmonne, j'enfonce mes ongles dans ce qui peut faire assez mal, et surtout, surtout, je pose mes pieds selon des rites compliqués, ballet d'angoisse, conjurations haletantes.
Rarement, j'aurai l'idée de traverser la rue, pour longer les innocents pavillons d'en face, et cela seul dit combien cette petite fille n'allait pas bien.
Transplantée, dessaisonnée, vulnérable, aux prises avec les ironiques défenses de ma famille, je me cogne aux parois comme un papillon dans une bouteille, j'explose en colères qui me fragmentent un peu plus, et me disqualifient lors de ces curieuses bourses aux Affaires Familiales que sont les Déjeuners du Dimanche.
Alors?
Alors, il y a d'autre murs. Sur ceux là, des livres, quantité de livres, et personne ne m'en limite l'accès. Et dans ceux-ci, murs d'une ancienne maison de Frères Maristes reconvertie en école pour grandes personnes, une porte dont je connais la clé. Le wwek-end, la plupart du temps, l'école est déserte, et me livre d'immenses couloirs et une odeur incomparable de tabac à pipe et de patchouli. Et le bruit de mes pas dans ces salles vides qui gardent les traces d'une activité humaine frénétique, cendriers débordants, affiches multiples, injonctions obscures (Pour "pratiques interculturelles", voir Jeannine et Robaï avant décembre) et fonds de verres en sédiments étranges.
Au dessus un grenier, dont je pense que la plupart des adultes ignorait l'existence. Des livres encore, énormes et illisibles, des vies de Saints aux angles rongés, une poussière dansante à chaque pas, et des amas d'anciens habits sacerdotaux, dont j'ignorais totalement l'usage et dont les couleurs me transportaient.(Oui, oui, à neuf ans, on voyage très bien en habits sacerdotaux)
Là, je lisais, jouais, me jouais, tranquille et grandiloquente, à l'abri.
Ce fut mon seul grenier. Le jour où l'on m'y découvrit, drapée dans une chasuble violette et parlant tout haut à mon reflet, il perdit définitivement son rôle de havre.
Je ne me contorsionne plus pour mettre les pieds sur les interstices du trottoir, mais voyez-vous, je voyage encore sous des habits d'emprunt. C'est sous le manteau d'Anita que ma mémoire épisodique me restitue la petite fille qui s'asphyxiait sous le soleil et respirait sous le brocart poussiéreux. Si j'avais su, j'aurais pris quelques minutes pour lui dire qu'un jour, elle en émergerait.

6.2.08

elle est belle, elle est fraîche, ma pétition.

Comme sur les marchés, faut y aller de la voix, parce que ça ne manque pas. Le lot de la semaine, glané chez vous:
Chez Akynou, vous pouvez soutenir la future élite française. Sauf qu'il faudrait d'abord qu'on les accepte sur notre sol, ces petits Sikhs. Mais vous verrez que dans dix ans, on sera tout fiers de les reconnaître comme nôtres.
Chez Outrelande, venez défendre la Noire Charbonneuse et les Vertus Marteaux, la tomate et le navet vous changeront du cornichon et de l'asperge.
Chez Oxygène, venez dire si vous l'aimez laïque. Par contre si vous l'aimez occident c*hrétien, je sais pas où c'est.

Bon pour les impatientes, le billet intitulé "vite fait" c'était le billet "mal fait" oukon a appuyé sur "publier" sans le vouloir parce que la gente mineure vous corne aux oreilles un truc super important sur les devoirs-de-demain-qu'on-a-oublié-comme-d'hab.
message perso: Koz, t'as-tu reçu mon mail pour Mars?

5.2.08

Mode mineur, enjeu majeur.


J'entends, chaque année, plus de mille histoires. Je touche, un peu ou beaucoup, sept à huit cent corps différents. Plusieurs centaines d'enfants dessinent sous mes yeux un petit personnage qui, à leur très personnelle façon, représente une partie d'eux mêmes.
Dans ce flot, je lance inlassablement bouées flottantes, lignes de traînes et miroirs dérivants, avec l'espoir de débarquer les scories, soutenir ce qui plonge, étayer ce qui surnage.

Avoir comme crédo, que pêcher à la dynamite, c'est de ne récolter que du poisson mort.
Observer les trajectoires, se réjouir d'élans nullement programmés, espérer que les fuites ne soient que des détours.

Se résigner à un certain lot d'échouages. Savoir qu'on n'aimera pas forcément ce qui poindra sous les sourires édentés et les couettes à élastiques roses, qu'un jour ils troqueront les tatouages de M*alabar contre des cartes d'électeurs.
Ou des flingues, des seringues, des rollex, des actions chez T*tal.
Ne jamais se résigner complètement.
En tous cas, ne pas se résigner aux systèmes qui poussent dans le trou.
Un enfant s'est pendu dans un établissement pénitentiaire pour mineurs.
Comme dans d'autres histoires, on ne connait pas les tenants et les aboutissants, on ne connait pas l'histoire sous l'histoire. On ne connait pas l'histoire de l'enfant.
Mais ce qui affleure de l'histoire de la mise en place de l'institution dessine un schéma trop connu, trop prévu.
Une volonté politique qui pousse au plus pressé, des gens très jeunes recrutés, peu formés, des lignes du cadre déplacées sans avoir été pensées. Espoir et sous effectifs.
Psychologues et médecins sans bureau, coins de table sans confidentialité. Adultes désemparés.
Bien sûr, on ne les sauvera pas tous.
Bien sûr, aucun système éducatif n'est capable de mettre au jour une tranche d'âge sans suicidés, sans internés, sans agresseurs, sans violeurs, sans mal vissés de tout poil, de toutes formes, et de toutes destinées.
Mais faut-il pour autant toujours recommencer les mêmes approximations? Prenez le schéma précédent, appliquez-le à n'importe quoi, la scolarisation de l'enfance handicapée, la prévention de la récidive d'abus sexuels, l'insertion professionnelle, tout ce que vous voulez, on vous garantit que ça ne marchera qu'après de cinglants échecs, et pas du tout si les échecs ne sont pas assez cinglants pour forcer à tout remettre à plat.
16 ans.
J'ai travaillé pas loin de l'endroit où il s'est pendu. Si cela se trouve, c'est à moi qu'il y a dix ans, le nez morveux et le tibia bleu des coup de pédales maladroits, il a tendu le dessin de son petit bonhomme.
Ou bien était-ce son frère?

3.2.08

Dehors, la tempête


(pour agrandir, on peut toujours cliquer sur l'image)

1.2.08

1983-Visa de tourisme

Je me souviens de N'djamena. Je me souviens d'avoir aimé ce nom avant même d'y être arrivée. Je me souviens de la traversée du fleuve Chari, des hippopotames immobiles, et des petits jardins sur les berges.
Je me souviens d'une ville assoupie et pourtant aux aguets, en cette année 83, l'une des innombrables années houleuses du Tchad. L'harmattan avait soufflé, et ce vent ocre feutrait les rues de sables. Des camions, très hauts sur roues, passaient avec un roulement étouffé, et sur leur plateaux, les militaires tchadiens dans leur ample vêtement-était-ce des boubous?-avaient l'air d'une armée de terre cuite.
Une nuit, notre voiture s'étant égarée trop près de la résidence présidentielle, nous fûmes arrêtés par de très jeunes gardes, ivres tout autant de haschich que de peur. J'ai vu l'oeil de la mitraillette, et comme souvent, quand je suis aux prises avec une émotion tranchante, je fus très calme, très blonde et très jeune fille de bonne famille. Cela laissa à mon compagnon le temps de sortir une carte de presse, et, en ces temps de déploiements de forces française, ce papier barré de tricolore apaisa tout le monde.
Parce que je fus peut-être la seule à entrer ce mois-là avec un visa de tourisme, je me pris facilement pour une héroïne, et je marchais la tête haute et l'oeil profond. Mais les seuls bruits de tirs que j'entendis vinrent du cinéma en plein air. A l'oreille, le James Bond en question tira ce jour là l'équivalent du budget cartouches de tous les militaires présents. Les sentinelles à l'entrée ne bronchèrent pas.
Je me souviens de la beauté du ciel, et de celle des petits vendeurs d'essence de contrebande, qui veillaient sur leur étals de bouteilles de toutes couleurs et de toutes contenance. Le soleil passait au travers et faisait flamber les verts, les bronzes et les jaunes byzantins. Les moteurs flambaient aussi très bien, d'ailleurs.

Je me souviens avoir profondément, viscéralement aimé cette ville en partie détruite et m'être promis d'y retourner. Je l'ai quittée à l'aube dans un Transall vide qui, avant d'aller chercher du matériel au Cameroun, s'offrit-m'offrit?- une reconnaissance à basse altitude au dessus de la savane, au dessus des girafes et des éléphants.

Bien entendu, je n'y suis jamais retournée. Curieusement, l'épopée des zozos de Zoé au Tchad n'a pas vraiment réveillé ma mémoire. Mais il aura suffi que je lise ces jours-ci, l'expression "rebelles tchadiens" pour retrouver le gout de la Gala sur ma langue. Douceur et amertume.