8.4.06

Lear

Je viens d’aller voir le roi Lear.
Pour me changer les idées.

Quoique …

Quoique cette vieillissante figure autocratique, qui ne peut lâcher son pouvoir qu’en échange d’une protestation d’amour, fut-elle de la dernière hypocrisie, avait de quoi faire écho à de très actuelles figures.
Et bien sûr la modernité du texte ajouté au choix de mise en scène qui pose Piccoli en capitaine d’industrie ne pouvait que renforcer ce petit jeu d’associations. Le moyen d’y résister…
C’est d’ailleurs là où le bât a failli blesser la spectatrice pourtant acquise d’avance au texte. Il faut pouvoir éprouver de la sympathie pour Lear, même s’il apparaît l’artisan de son naufrage.
Or le personnage du roi, ainsi incarné, paraissait un peu trop proche de figures réelles du cynisme, pour être attachant.
Car enfin, quand le roi, le cul dans la neige, découvre que les pauvres peuvent avoir froid, il faut que son arrogance soit déjà en partie rachetée par le processus ce de dépouillement qui est à l’œuvre.
Ce n’est qu’après la première demi-heure que je me suis vraiment laissée prendre à la force du texte et au jeu de Piccoli.
Je n’ai pas tout aimé, mais la voix parfois incertaine, brisée et capricieuse de Piccoli, si. Cette histoire est aussi celle du caprice des vieux, qui retournent à cette enfance où l’on tape du pied en disant « je veux, j’ai droit », comme une dernière tentative avant l’ultime renoncement. J’aime que le metteur en scène n’en ait pas fait seulement un père trahi, mais surtout un homme qui vacille d’avoir tout confondu, le pouvoir et l’amour, l’amour filial et conjugal. Ne chasse-t-il pas Cordélia parce qu’elle a osé marquer la place d’un mari auprès d’elle, plutôt que de TOUT donner à son père ?
Ce qui est prodigieux dans ce texte, c’est qu’on finit par avoir de la compassion pour tout le monde. Pour les méchants parce que presque tous ont été des enfants mal aimés, pour les fous parce que leur sagesse ne suffit pas à sauver tout le monde, et pour Lear, le vieil homme nu, privé même en dernier lieu de sa démence, parce qu’il a compris trop tard que le renoncement, c’était bien autre chose que distribuer ses biens.