15.2.08

Quotas

Vingt-six mille.
Vingt -six mille à arrêter dans l'année.
Mickaël est un jeune agent de police soucieux, et ça se voit à son air concentré à la façon dont il vérifie son arme de service. C'est sa première opération d'envergure, et il a beau, comme un skieur, se répéter mentalement quelques figures imposées, il se demande comment il va réagir. Il jette un coup d'oeil à Regis. Lui c'est un ancien, il a pris Mickaël sous son aile, sans effusions particulières mais sans protester. Un pro, sans état d' âme apparent, mais qui lui rend son regard avec un petit sourire.
« -Inquiet?
Mickaël souffle, un peu soulagé.
-euh. Pas toi?
Régis se marre.
-Bah!!! C'est du gibier facile! Ça va brailler tout ce que ça peut, mais ça va se coucher très vite. Le plus dangereux, c'est les femmes. Elles vont chercher les yeux, n'hésite pas à baffer sec d'entrée. »
Le jeunot est surpris. Régis ne l'a pas habitué à ce genre de reflexions, ni à ce ton vindicatif.
-tu les aimes pas hein?
-Peux pas les piffer. Ça me débecte qu'ils s'en foutent plein la lampe sur notre dos, pendant que les autres bossent. Ma voisine, tiens, c'te femme, elle a bossé toute sa vie, elle bosse encore. Trop honnête, trop conne pour rester à rien foutre et à toucher le RMI, quatre gosses, et faut voir comment elle les tient. Et ben, elle a droit à rien, elle gagne trop pour la CMU, pour tout. Alors tu vois, ces parasites, faut les virer, et vite! »

Mickaël n'a pas le temps de répondre. C'est le signal, et à partir de là, tout va très vite. Le quartier entier a été bouclé. On encercle l'immeuble. Quelques coups frappés, pour la forme, et on enfonce les portes. Faire du bruit, vociférer, s'imposer dans les premières minutes. Tiroirs arrachés, renversés, on prend les papiers. Un homme à cheveux gris tente de sortir de son portefeuille, quelque chose qui ressemble à une carte, et s'entend dire « qu'on va lui faire bouffer, son torche-cul, qu'y vient , et qu'y ferme sa gueule »

Regis a menotté une femme, jeune et élégante, et la dirige vers le fourgon. Une fois de plus , Mickael est frappé par son expression inhabituelle, comme si son coéquipier prenait un plaisir personnel à cet opération , lui d'habitude si peu émotif.
Tout est terminé en quelque minutes. Dans ce quartier où chacun craint pour sa pomme, peu de réactions de l'environnement. Les têtes sont basses, quelques sanglots étouffés.

Dans le fourgon, Mickaël ne peut s'empêcher d'interroger son collègue.
« Franchement, ça te choque pas cette histoire de quota?
-Pas mon problème. Je peux pas dire que j'aime ça, mais ces trucs là, c'est politique. Moi, mon boulot, c'est d'arrêter des délinquants. Et y en a, parce que le seul truc qui nous guette pas, c'est le chômage technique.
-Arrête! Ça se voit que tu y a pris plaisir!
-Yep. Peux pas dire le contraire. Vingt six mille escrocs, fraudeurs du fisc, emplois fictifs, truandeurs de charges sociales, de salauds qui râlent parce que l'infirmière leur a mal parlé mais qui qui n'ont jamais versé un rond à l'assurance maladie, vingt-six mille rats en moins par an, non, y diront c'qu'y voudront, ça me fait pas mal au sein.
-Tu vas le dire à ta voisine?
Chose parfaitement inattendue, Régis rosit. Puis éclate de rire.
-Madame M'Ba? Oh là là! déjà qu'elle me bourre de poulet Yassa, dès que je ramasse le vélo de son fils , sur le coup, si je lui dit ce qu'on a fait aujourd'hui, je prends 5kg en un mois!
Et comme pour masquer cet accès de sentimentalisme, et alors que le fourgon quitte le quartier de la Défense, Régis se penche avec férocité vers la jeune femme qu'il a embarqué.
« Alors, tu frimes maintenant avec ton RMI et ton ISF! Salope!
-Euh.. Régis...
-Ah pardon, t'as raison, pas d'insultes."
Alors, avec un souverain mépris, Régis laissa tomber sur la femme muette et embijoutée:
« Tocarde. »




Toute ressemblance et tatatatata. Ceci est une pure fiction. Pour la réalité, c'est ici, et là.
Edit du 20/2/08 Tiens, pis là aussi, pendant qu'on y est.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Vraiment excellent !

Valérie de Haute Savoie a dit…

Tout cela me fait mal, mal pour mes enfants, pour mon pays... je ne sais pas si c'est réversible, si nous allons être suffisamment nombreux pour remettre de l'humanité dans notre avenir...

Anonyme a dit…

Tiens j'ai cru entendre quelqu'un de mon entourage professionnel qui m'a dit l'autre jour : Moi je veux me battre pour les quotas...
Ce qui m'a laissé sans voix. Mais quelle tristesse...

Anonyme a dit…

Tu peux te vanter de m'avoir fait peur... J'y ai cru jusqu'au bout à ton histoire. La prochaine fois, mets un chapeau : science-fiction ou quelque chose du genre...

l'âne Onyme a dit…

enfin un peu de justice, on se demandait ce que faisait la police.
Lorsque lors de dîners d'affaires certains directeurs ou cadres supérieurs osent aborder le cas des "feignants qui touchent le RMI", je leur réponds par les "escrocs qui fraudent le fisc et les charges sociales", sur le même ton.
C'est amusant, ils changent aussitôt de conversation.

Anonyme a dit…

Valérie, j'espère bien que ce sera réversible et que nous reconstruirons une république humaniste ( vu ce qui a été démoli, c'est bien de reconstruction qu'il s'agit). Anita, j'ai assisté à une scène presque semblable il y a quelques jours.

Anonyme a dit…

Très intéressant de vous lire, de comprendre qu'il ne s'agit pas de fiction.

La France est un pays qui offre de nombreuses mesures sociales à ses citoyens et pour les maintenir doit inévitalement combattre l'abus.

En ce sens, ce texte ne me choque pas, il m'émeut, me désole mais ne me surprend pas.

Accent Grave

Tellinestory a dit…

Accent grave : à vos yeux, quel abus est le plus lourd financièrement et moralement? Lequel justifierai que l'on utilise toutes les forces de polices? Lequel est, depuis belle lurette, le plus impuni? Lequel naît sur le terreau de la misère, et lequel naît sur celui de l'arrogance de ceux qui ont toujours eu le roti cuit à point?
That's the question, comme dirait un de ceux qui s'en chagrinaient déjà il y a quatre cents ans...

l'âne Onyme a dit…

la réponse est facile :
- des indemnités de départ équivalentes à 2000 ans de SMIC
- des abus d'initiés
- des mesures d'élision fiscale
- la vente de nos fleurons nationaux (EDF, SNCF, les autoroutes et bientôt les activites rentables de La Poste et de Coliposte , celles de l'hôpital Public) à des amis bienveillants.
En faut il davantage ou est ce assez ?