17.3.07

1966: D'ancre et d'erre


En 1966, débute le projet Arpanet. J'ai trois ans, et mon premier souvenir qui dépasse celui de l'image immobile, est le voyage qui amènera famille et paquets dans la région que j'habiterai presque quarante ans.
Dans cette gare noire d'ancienne fumée et de monde, je tiens la main de mon père, avec gravité, et une appréhension qui se mêle d'un sentiment d'importance. Sans doute, fus-je quelque peu chapitrée sur la nécessité d'être sage dans un train de nuit, car je me vois droite et digne, très consciente du protocole du voyage. Déjà, j'aime l'odeur et la fièvre, et les bruits dans ces gares qu'on ne se préoccupe ni d'insonoriser ni de sonoriser.

Nous déménageons, dans une région que j'aimerai peu, mais dans une maison qu'encore aujourd'hui, je décrète idéale pour abriter une enfance. C'est peut être d'ailleurs parce qu'elle remplit si bien, si pleinement son rôle de maison de mon enfance, qu'y repenser aujourd'hui ne provoque ni regret ni nostalgie, mais une forme de reconnaissance. Ce fut une bonne maison, et je ne manque jamais de lui dire, quand je la revois.
Elle était d'une couleur et d'une forme attendrissante et insolite, jaune avec un pignon, légèrement perchée, avec un jardin en haut et un jardin en bas. Cette maison que nous louions était en bordure du parc d'une maison de maître, si souvent mystérieusement fermée, attirante et troublante. Interdite, bien sûr, sinon, où serait le plaisir? Oui, j'ai des souvenirs de frissons partagés, de marche en file indienne, guère plus bruyants que des bisons, vers tel bosquet de buis centenaires, qui faisaient une cabane naturelle.
Mais ces exotiques séductions pâlissaient devant la fidèle bonhomie du mur de devant, sur lequel il était si facile de se jucher, à partir du portique, d'un balancement exact du trapèze. Moins poste d'observation que royaume longiligne, j'y ai régné sur un trésor : d'innombrables dômes de mousse verte, émeraudes de peluches, douces, tentantes et immédiatement déshonorées par le coup d'ongle qui les détachait de leur support. Sur ce mur, j'ai croisé la chatte, soliloqué, interpellé et parfois fui les passants.
De cette maison, je suis partie et revenue, car de cette époque datent les longs voyages qui ont marqué l'été de mon enfance. A partir de la maison jaune, rejointe en train, j'expérimenterai le vélo, le patin à roulettes, les longs voyages en voiture, l'avion, et même la roulotte.
Le bateau et la montgolfière viendront plus tard, ainsi que diverses formes de transports amoureux.
Et quand l'antique ARPANET deviendra INTERNET, je découvrirais cette forme de voyage curieusement mouvant et immobile, ce bruissement sans voix, encre et air.

Qui me lit de Chine?

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Quel beau texte. Sensuel, très goûteux, émotionnant. Qui nous enracine dans la profondeur sécurisante des grandes maisons et des petites cabanes, nous rappelle le plaisir mélangé de toucher et d'abîmer un peu la beauté des plantes. Et nous invite à goûter l'air de l'évasion.
Quel beau titre aussi, qui se déguste avec la chute.
(nouvel essai, j'ai du mal à envoyer un commentaire, j'espère qu'il ne va pas sortir en 50 exemplaires)

Anonyme a dit…

Quel beau texte, oui. envoutant.
A lire et relire pour le plaisir des mots, et de leur rythme.
Mmmmm, le souvenir des cabanes de l'enfance ! Merci Anita.

(Je ne te lis pas de Chine, ce n'est pas moi!)

Anonyme a dit…

Pour la Chine, ce n'est pas moi non plus. Mais pour ce qui est des cabanes et des murs de perres chauffées par le soleil , j'en retrouve quelque chose à ta lecture!

Tellinestory a dit…

Merci à vous.
非常感谢