8.3.07
1965 : être et/ou avoir
En 1965, Perec publie "Les choses", et moi, je m'essaye aux mots. Deux ans, c'est le bon moment pour vous faire le coup du mot et de la chose.
Dans cette famille, l'appropriation du langage est l'une des bases de la survie. Les mots fusent, rebondissent, se détournent à l'envie, se dotant de double-fonds et d'emplois surprenants, chantent souvent, se mêlent de larmes parfois, de cris, point trop encore.
Mon père aime le mot précis et le calembour approximatif, fredonne d'une voix de basse, explique patiemment, et déjà, esquive les questions trop intimes d'un "humm" qui dépasse à peine la barbe. Ma mère chante faux, mais cultive la formule stupéfiante et l'étincelante répartie, bretteuse dans l'âme passionnée, excessive, mais capable d'enchanter notre monde d'alors.
Ils n'ont pas beaucoup d'argent, et cela leur évite sans doute de voir à quel point les objets les possèderont différemment quand viendra le temps des vaches grasses.
Nous avons bien quelques jouets, projectiles de choix, lorsque nous décidons de renverser les lits pour en faire des barricades et bombarder nos parents-Mais surtout, nous sommes bavards, nous inventons des histoires interminables, nous sommes intarissables et fatigants. Directs et curieux, nous avons le privilège de croire que ce que nous disons intéresse les adultes.
Les mots, dans ces premières années, sont monnaie d'échanges abondants, matière vivante, échelle de Jacob.
Du désordre, moins qu'il n'y en aura plus tard. Peu de choses, ou bien de peu d'importance. Moins qu'il n'y en aura plus tard.
Elles viendront , ces choses , figeant chez ma mère un territoire sacralisé, étouffant les voix, asphyxiant les codes. A bout de mots, les assiettes voleront, ultime sacrilège.
Les mots et les choses. Aujourd'hui encore je me méfie des choses, je les aime parfois, elles m'attirent et me pèsent. Tous les moments de ma vie qui m'ont vue sans bagages m'ont connue allégée, presque délivrée.
Il m'arrive de me dire que j'ai la même ambivalence envers les mots. je les aime, les cherche, les donne parfois, et pourtant, j'aimerai tant savoir me taire.
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3 commentaires:
C'est vrai que le mot "silence" a peu de synonymes et beaucoup d'antonymes.
C'est dans les mots qu'on mesure le mieux la distance mais aussi l'attachement de moi, aux miens.
Je suis sans mots devant un écrit aussi beau.
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