Mon ami Tom, qui fut un dilettante acharné et un travailleur subrepticement consciencieux, vieil homme qui dissimulait derrière de grands rires et le goût des jeunes femmes une blessure à jamais tatouée sur l'avant-bras, me parlait ainsi, avec faux soupirs et vrai accent de l'est, de celle qui fut, si mes souvenirs sont bons, sa deuxième épouse :
"Aah! Anita, tu vois, celle-ci me prrrocurrrra sept ans de bonheurrrs quotidiens et trrrois ans de chargrrrrin crrrréatif."
Je n'ai pas encore l'âge qu'il avait quand il me fit cette déclaration, du haut d'un chameau tunisien qui roulait en parallèle du mien, sentence qui me fit d'autant plus rire que mon coeur n'était alors plein que d'une très jeune enfant dont la fréquentation me ravissait, et d'un jeune mort avec lequel j'étais en paix.
Je croyais alors que je ne pleurerais plus.
"Ah! ah! ah" diraient mes lecteurs de plus de quarante ans, en accord avec le fantôme de Tom. Mais les lecteurs de plus de quarante ans qui pleurent encore ont le cœur assez tendre pour m'épargner leurs sarcasmes.
Mais sur quoi pleurons-nous? N'ai-je pas, pourtant, acquis l'âge et la raison de savoir que l'autre n'est jamais un miroir? Que rien, personne, pas un être ni un destin ne peut tenir lieu de monde à lui tout seul.
Parfois, je suis un âne sous la pluie, l'œil fixe et l'oreille mobile, espérant que les eaux se confondent.
Je n'en suis pas encore tout à fait au stade du chagrin créatif.
8 commentaires:
Mais le blog ne peut-il être tenu pour un parfait exemple de chagrin créatif ?
@ "l'âge et la raison de savoir que l'autre n'est jamais un miroir..."
que de ressemblances néamoins quand l'autre vous déchire comme des brisants, quand l'autre tombe et s'époarpille en éclats aveuglants, quand l'autre est sans tain pour vous seul(e)...
Jeune adulte, je m'étais promis que jamais le chagrin ne poserait sa patte sur moi.
On ne tient pas toujours ses promesses !
Je ne suis pas sûre que ça soit quand on est dedans, qu'on puisse qualifier le chagrin de créatif (si ça peut consoler quelques larmes...)
Il pleut beaucoup en ce moment, mais tu ne pars pas bientôt en un fabuleux voyage ?
On pleure car cela soulage et à l'ombre des larmes naissent bien des sourires...
De monde à lui tout seul , peut être pas mais être le sujet des pleurs que l'on ne peut retenir....
Parfois je me dis cela serait bien de pleurer, là, maintenant. En toute simplicité.
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