Hier, j'ai fait un pouème , dans lequel il était question d'arbre. Sans surprise, j'ai vu surgir de ma mémoire, la jeune fille âpre que j'étais, dont je sais parfaitement-pensez donc si je l'ai connue, celle-là!-qu'elle aurait jugé sans indulgence aucune, une production qui ne parlait ni de perte ni d'abîme, sans pulsation douloureuse, sans ironie, un écrit sans cri.
"Les arbres, tu en es rendue là?"
m'aurait elle dit en abaissant les coins de sa bouche, avec cette façon sans détour de se faire des ennemis.
Permettez quand même qu'avec tendresse, je lui frotte le museau de feuilles fraîches, à cette jeunesse qui a moins de mémoire que l'enfant qu'elle cessait juste d'être.
Car des arbres, il y en eut, peu, mais suffisamment tutélaires pour que mon bonheur d'aujourd'hui ne soit pas sans racines.
Curieusement, presque aucun d'eux ne m'a appartenu en propre. Ni les buis antédiluviens, cabane sacrée et crue secrète, ni les tilleuls immenses et quelque peu effrayants dans la tempête, ni le cerisier du Japon avec sa floraison subite et miraculeuse. Je n'ai pu prétendre à la propriété que d'un très vieux cerisier aux énormes fruits brillants et peu sucrés.
Que je me souvienne encore d'eux, n'est-ce pas la preuve qu'ils ont compté? Pourtant, je ne saurais dire comment, et si l'on m'avait posé la question à l'époque, j'aurais probablement gonflé mes joues et soufflé d'insouciance. Dans cet âge, on aime moins qu'on ne se tisse avec, sans réfléchir, sans éprouver. Sauf peut-être, lors de la perte imprévue, et encore. Il est rare qu'un enfant puisse nommer ce qui lui manque vraiment.
Elle n'a donc pas entièrement tort, l'adolescente. Elle est partie sans se retourner, vers la ville verticale et sans verdure. Quoique... Cet hebdomadaire bouquet du marché, même fauchée? Est-ce un hasard, si la fleuriste amusée, et peut-être attendrie de la voir compter les pièces, en rajoutait une bonne mesure?
Les jardins sont venus après. Mais l'alliance potagère, la fleur qui sollicite et meurt sans soin, ce n'est pas encore l'arbre. C'est autre chose encore, et je finis par songer que je ne peux me livrer entière qu'à ce qui se passe de moi.
Ce n'est que très récemment que l'arbre est revenu dans mon paysage, que je commence à voir, non plus une masse indistincte et verte, mais des individus. Je ne sais pas encore les photographier, et je saurais encore moins les peindre, mais au moins je les regarde. Rendue prudente par la lassitude de mes proches devant mon enthousiasme à célébrer la vague, la rose naissante et la lumière mourante, je garde pour moi le choc intime d'une branche déliée, d'un port serein.
Je croirais presque, si je ne savais combien on se ment toujours à soi-même, que ce plaisir des arbres est voisin de mon détachement, que je peux contempler l'arbre et l'homme d'un même oeil, en sachant que, si beaux soit-ils, mon jardin choisi est trop étroit pour que j'en rêve la possession.
Presque.
6 commentaires:
Je crois qu'il en va des arbres comme des maisons. Pour ma part, je ne me suis jamais autant senti chez moi que dans celles qui ne m'appartenaient pas, qui n'avaient pas besoin de moi et envers lesquelles je n'avais pas d'obligation. Ne pas rêver la possession d'un arbre ou d'une maison, certes. Pour l'homme, euh...
Je me délecte à lire ce texte, et c'est étrange de pouvoir t'imaginer sans t'avoir jamais vue, allant vers la ville sans te retourner. Partir joyeuse sans se retourner, le fait-on aussi plus tard, c'est ce que je me demandais il y a peu. :-)
Est-on jamais propriétaire d'un arbre...
Je ne crois pas.
J'adore novembre, où ces êtres appellent les âmes, où cesse la nudité haineuse et apparait celle, frileuse, qui dérange, ne cache rien.
Et ces bleus sombres, entre leurs racines aériennes.
Bientôt, éclaboussés par la chaleur vert lime printannière, ils sentiront si bon la vie. Zed
Novembre : ici, au Québec, autour de Montréal, les arbres sont dénudés, il fait froid, mais ce n'est pas encore glacial. On a envie du feu, de l'air du dehors.
Je n'ai jamais pensé aux arbres comme sur la base d'une théorie, d'une foi, d'un mystère.
je n'ai jamais eu de relation "aux arbres", seulement à quelques uns que j'ai planté ou aimé.
Et je pense avoir été soutenu par cet amour donné. Un peu comme s'ils me le rendaient bien... Un peu comme ça.
Ton chemin est bordé d'arbres tu t'en rends compte à présent ; mais ils ont toujours été là.
"L'arbre appartient à qui le regarde", dit le poète.
En ce moment je goute l'incroyable plaisir d'essayer de faire pousser des jeunes arbres, chaque jour je regarde mes boutures, les toutes petites feuilles vont elles tenir, les racines vont elles croitres, donnera t-il un jour de ces coings apres et ensoleillés à mes enfants, à une nouvelle génération ? Je caresse du bout des doigts ces petites tiges, pas encore des troncs, un plaisir incroyable vraiment.
Un arbre c'est vraiment très très beau. Savoir photographier les arbres, je ne sais pas si c'est vraiment possible.
Les platanes parisiens lassent parfois, mais toi qui a la nature, continue à les admirer.
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