9.9.08
J.n'est pas simple.
J'aimerais pas être conseillère d'orientation.
Ou peut être que si, justement, parce que j'aurais pu répondre quelque chose à J.
En tous cas, autre chose que voueye, faut voir, ça dépend et pour finir, lâchement, hmmm, on en reparlera.
L'est pas simple, J. D'abord, indéniablement, c'est une chieuse. Comme je les aime, d'autant plus librement que je les vois de loin. Ça doit pas être facile de se la tartiner tous les jours, l'abricotine.
Elle a beau, en raison d'une naissance difficile, ne pouvoir ni fixer son regard ni courir le cent mètres, elle n'a pas les yeux dans sa poche et encore moins la langue dans son sabot. Pour le squash verbal, malgré quelques difficultés d'élocution, elle ne craint personne.
Si je rencontre son médecin spécialiste, je lui dirais qu'il peut partir pour une transat, il est gréé pour l'hiver. Cette idée, aussi, de continuer à vouloir fourguer à J des trucs rigides et blessants pour redresser ce qui est tordu, étendre ici, forcer ça à venir là.
Je vois bien que J. après des années de soumission grognonne et tout juste majeure, réclame le droit de ne pas se tenir droite. Les pauses thérapeutiques sont toujours délicates à négocier, mais parfois tellement nécessaires.
Et puis, j'aime mieux que cela se dise comme ça, avec son ricanement sardonique, son mouvement de la tête pour chasser la mèche qui lui tombe sur l'oeil, et cette tension du cou, visible, quand elle vous écoute soudain avec attention, et qu'elle estime que vos paroles méritent l'effort qu'elle fait pour stabiliser son regard. J'aime mieux comme ça que l'année dernière, quand la montée de l'angoisse, la colère, tout ce qui bouillait à l'intérieur la paralysaient au seuil de la classe. Des semaines sans pouvoir venir, un bricolage d'urgence et parfois de mauvaise grâce, la décision in extremis de l'autoriser néanmoins à passer en terminale.
Un bon choix : des notes fort honorables aux épreuves anticipées, J. , toujours acerbe, mais pacifiée.
Alors, pointe la question si longtemps éludée, si importante, si insoluble : quoi faire après?
J. dit qu'elle n'a aucune idée, rien, nada, netra.
Et les quarante profs qui lui ont posé la question ces deux dernières années peuvent aller rejoindre le médecin spécialiste, z'auront pas froid non plus. Quand à moi, si j'insiste de trop, je vais avoir droit à mon petit costard en laine polaire sur mesure.
Ça va pas être simple. Tout, les déplacements, l'accessibilité, les débouchés envisageables, tout aura son poids pour J. que son corps limite depuis toujours.
Faut-il, à cette limitation, rajouter celle d'un horizon professionnel non choisi?
J. est une chieuse, la cause est entendue, mais c'est aussi une fille intelligente, tenace et d'une frémissante sensibilité. Elle est aussi, et c'est encore un handicap, issue d'une famille où personne n'a fait d'étude.
Elle bagarre depuis si longtemps, je la comprend d'hésiter devant l'échéance. Et puis, tant d'adultes, depuis toujours, à vouloir ci, ou ça, kiné, chirugiens, psychologues, psychomotricien, orthoptistes, ergothérapeute, rajouter là, enlever ici, assouplir, renforcer, élaborer, soutenir, étayer, rallonger, rectifier, rééduquer, découper selon le pointillé...
Mais quand même, avec cette intelligence.
Et ce chouette mauvais caractère...
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13 commentaires:
J'aime bien comment tu nous décrit cette demoiselle J. pour laquelle on se prend d'affection et dont le quotidien courage force le respect et l'admiration... Son chouette mauvais caractère lui sauvera peut-être la mise... Va savoir à quoi ça tient parfois, de s'en sortir ou pas...
Voueye. Faut voir.
C'est le nom de Frida Kalho qui me vient à la lecture de ton billet.
Pas simple en effet, et en même temps...
Belle personne en effet qui mérite et inspire le respect. J'espère qu'elle trouvera sa voie.
J'ose même pas y penser...
samantdi
Si tu lui donnais crayons et papiers, et l'incitais à sortir tout ce qu'elle a dans le coeur, peut-être que ça pourrait vraiment faire une oeuvre valable?
Au début de ton article, j'ai cru que tu parlais d'une élève de Segpa (c'est du vécu, pas du préjugé) mais finalement j'apprends que J. est en terminale. Du coup, je me dis que J. trouvera sa voie toute seule, grâce à la force et à l'intelligence qui l'ont menée jusqu'ici.
"J " est l'héroïne d'un fort beau billet , c'est déjà valorisant . Le sait -elle ? Son avenir ? je lui souhaite en rapport avec ses désirs lorsqu'elle les aura cernés . Beethoven était d'une famille modeste, il est devenu Beethoven .
Ah si on pouvait faire sauter le carcan que la vie nous met parfois sur le dos !
Je la vois bien présenter le 20h00, J.
Peut être qu'elle nous donnerait autre chose que la bouillie verbale habituelle, que des mots bien-pensants, bien-ordonnés.
Elle nous ferait peut être bien sauter le caisson... Faut voir
Bon, bon, je vois que personne ne veut me croire quand je dis que c'est une chieuse...;-)
Il va falloir que je lui révèle que personne n'est dupe.
Oui, j'aimerai bien que vers nos âges, elle puisse mesurer le chemin parcouru en se disant qu'il est pas si pire, même si elle n'a pas peint comme Bethoveen ou présenté le journal de 20h comme Frida Kalho...
Même si... Mais bien entendu, tout au fond de moi, je rêve comme vous qu'elle claque le beignet à son malheur initial, et qu'elle devienne si rich and famous que je pourrais, à mon tour en tirer gloire.
J.? Je l'ai connue toute petite et j'ai toujours su qu'elle irai loin.
Elle était adorable!
Et devenir une chieuse c'est peut-être la moindre des choses quand il faut se battre sans cesse pour faire entendre son désir sa singularité a Etre Exister pour échapper a ce que tous les autres pensent pour soi
Dommage que vous ayez choisi de rester anonyme... car votre commentaire me parle infiniment
Moi qui me tartine 28 pénibles tous les jours, non, je suis honnête, sur 28, il n'y en a que 20 ! Dont 4 aïe, aïe parce que leurs problématiques ne sont pas posées … donc pas prises en charge. Secret médical ! Chut … on peut lui confier des gosses mais elle n'est pas assez intelligente pour savoir ! J'avoue que le plus éreintant après 6 h 20 de pénibles c'est de faire bouger les personnels extra-scolaires injoignables, en rendez-vous (galant ?), etc. Alors oui, dans quelques semaines la souffrance des 4 aïe, aîe me sera devenue coutumière et je les appellerais des "chieurs … ou pas" Dommage, une simple éducative que je réclame depuis 10 jours, un simple dossier que je veux bien rédiger permettrait peut-être d'avoir une Auxiliaire de Vie Scolaire pour l'une d'elle, une aide un peu plus concrète que les 51 minutes théoriques que je lui dois (24 h x 60 min/28)
Ça tout le monde s'en moque, le ministre a clamé que la rentrée s'était bien passée … et puis en entretien individuel dans un bureau, ils sont charmants. Quand j'ai le temps de leur accorder cinq minutes pendant le service de cour, aussi. Mais ils sont dans une classe … et pour deux aïe, aïe, le rased gagne du temps, il faudrait un bilan avec la psychologue … Même dans un groupe de 3, 4 ou 5, ce serait trop lourd !
Allez plus que 33 semaines de souffrance (que nous partageons tous les 5) ce n'est que 11 fois nos 3 semaines de vie commune !
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