Au fond, bien des perceptions ne sont qu'une question d'indicateurs. Ceux qu'on se choisit, pour d'incidentes raisons, ceux auxquels on croit dur comme fer, qui sont la colonne vertébrale de notre vivant, ceux qui nous aveuglent transitoirement ou pour toujours, ceux que l'on brandit pour dessiller les yeux des autres, ceux qui vous reviennent en pleine figure.
Nos sociétés ne nous font pas violence au même endroit. Celui-là qui voit dans son amérique à lui, l'Eldorado où il a pu créer son entreprise en quelques coups de crayon, ne voit pas le vieillard qui travaille hors d'âge pour ne pas être jeté à la rue, le malade qui s'éteint sans soins, ni le retournement de la violence faite à l'humain dans une autre violence.
Les petites anglaises, si nombreuses à porter des enfants avant quatorze ans, m'ont toujours hurlé la limite d'un système qui avait déserté l'école publique, attaqué la sécurité du travail au profit de miettes multiples et précaires et fait, de l'allocation maternité la seule estampille sociale dont pouvaient rêver ces jeunes filles. Je sais encore le chiffres des études épidémiologiques et je n'ai rien su du cours des actions à la City.
Et ce couple croit n'avoir plus rien à se dire, parce qu'il ne sait plus que le décharger en points d'honneur raidis, en réponse de berger blessé à bergère haineuse. Et devant moi, entre eux, navigant d'eux à moi, avec toute l'affabilité de ses dix-huit mois, parfois interrogatif, souriant et occupé, un tout petit garçon qui me semble un excellent indicateur qu'ils sont loin, très loin de ne plus rien avoir à se dire.
Et les adolescents qui vous démontent avec une vitalité sardonique, tout ce que vous croyez avoir mis sur pied d'un tant soit peu prédictif, vous laissant partagé entre l'exaspération et le soulagement.
Alors cet indicateur là, que dois-je en penser? Plus qu'un autre, il est vacillant, mobile, irrésolu . Je ne pourrais jamais m'y fier totalement. C'est un indicateur flottant, qui se mesure moins à sa permanence qu'à sa résurgence obstinée. Il ne se mesure ni au nombre des plis, ni à leur forme. Il est inutile de savoir qui a pris la photo et qui a refait le lit, si ce fut court ou long, plein de langueur ou suffocant. Il est peu significatif de s'interroger sur ce qui fut dérobé à la routine, aux mauvais augures, à la fatigue.
Non, vraiment, cet indicateur n'en n'est pas un, c'est pur hasard si je le retrouve toujours sur mon chemin, incongru, narquois, tenace.
Ce lit froissé, c'est le sourire en coin d'une vie en diagonale. J'y dors parfois seule, voluptueusement barrée d'est en ouest, rythmiquement bordée du parfum étranger et si familier, enclos dans les plis.
La photo est de Michel Clair et le jeu du dyptique d'Akynou a servi de prétexte à ce billet. Qui donc est pour l'instant un monoptyque, tant que je n'ai pas trouvé de photo pour illustrer le texte proposé.
7 commentaires:
Ce monoptyque est savoureux. Du moins dans son étymologie.
Diptyque : plié en deux
Triptyque : plié en trois
Monoptyque : plié en un, autrement dit pas plié, façon de démontrer que 1=0
Lecteur : plié en quatre
Eh bien si c'est pour lire des choses comme ça, je vais t'en donner encore et encore des prétextes...
Désenchantement finissant sur une note douce. C'est joli.
Bon, c'est blogué dans la salle de jeux : http://www.akynou.fr/racontars_jeux/index.php?2008/10/05/659-le-bon-indicateur-par-anita
Commencer la journée en lisant ce texte, comment dire, … revigorant comme les embruns du matin à la marée montante !
Un monoptyque est donc un koan !
Sinon, j'ai trouvé très juste la notion d'indicateur que tu proposes. Je m'évertue à leur dire qu'il n'y a pas que les chiffres seuls...
C' est compliqué pour moi, Mais....j' ai compris............ à la première lecture !
C' est joliement dit .
Très bonne idée de prendre la photo comme un indicateur – et de réfléchir sur les indicateurs comme tu le fais, de cette façon si amère mais tellement bien écrite...
Indicateur quel vilain mot pour un aussi joli texte . Nous faut- il tout mesurer avant d'y apporter une solution ?
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