Parfois, de mon poste d'observation, je vois quelque chose frémir. Quelque chose qui me fait balayer rapidement ma mémoire professionnelle pour convenir, que oui, c'est bien une sorte de première fois.
En l'occurrence, c'est moins la répétition à une semaine d'intervalle qui m'a frappé, que l'absence de complication.
Peut-être que la plus spectaculaire dans sa paradoxale neutralité, fut cette grande jeune fille assez gauche. Examen de routine d'aptitude en lycée professionnel, parcours assez standard de limitation scolaire aboutissant en une formation peu qualifiante. Pas de drame pour autant, pas la joie, mais sans plus. Examen de routine, pêche standard, outils polis de longue date, pas forcément subtils, mais éprouvés. L'important n'est pas de tout savoir, mais d'indiquer que tout est abordable, que c'est l'occasion de ne pas repartir avec une question qui pourraient empoisonner ses dix-sept ans.
"Médicaments?
-Non.
-Contraception?
-Non.
-Pas besoin, pas envie, des questions?
-Pas besoin.
-OK.
-J'aime pas les mecs."
Là, quand même, je lève un sourcil un peu plus subtil. Formulé comme cela, cela peut vouloir dire bien des choses, y compris la rancune.
Mais non.
- J'aime que les filles".
Et le sourire est paisible, qui ne quête aucune compréhension de ma part et qui, par là même, dit celle de l'entourage proche.
Passons donc à l'hameçon suivant.
Le deuxième fut un peu plus complexe, parce qu'adressé par l'infirmière. Celui là avait semé sur son chemin des petits cailloux légèrement plus inquiétants, depuis des mouchoirs roulés en boule en passant par des petits comprimés roses et des monosyllabes indiquant qu'un adulte était dans le paysage.
Le jeune homme ayant atteint l'âge du consentement, la question à élaguer, au vu de ce qu'il manifestait, était principalement de vérifier qu'il s'agissait bien d'un oui, libre de contrainte.
Assez rapidement convaincue qu'il avait été aussi désirant que son partenaire majeur, le médecin s'est mis en retrait, laissant place à l'auditrice.
J'étais juste un peu en colère contre mon confrère, parce que franchement, les petits bonbons roses, on aurait pu s'en passer. Il lui aurait suffit de virer les parents dans la salle d'attente pour faire le même diagnostic que moi. Désirer, plaire, séduire, chercher, provoquer, ça empêche les adolescents de s'endormir le soir. Et parfois, ça fait pleurer, des larmes d'anticipation crispantes et délicieuses. La belle affaire...
Bien sûr, il reste le risque, sociologiquement non négligeable, de voir le père du dit jeune-homme oublier qu'il est un père et flanquer son fils à la porte en hurlant "pas de ça chez nous!", mais le pire n'est pas toujours sûr et pour l'instant, je peux me contenter d'écouter l'à-peine sorti d'enfance parler de "sa différence". (sic, hein!)
En songeant, mon tout beau, que ton mélange d'inquiétude vraie et de provocation faraude, ta façon de clabauder ton secret absolu à des dizaines d'oreilles, ton envie de cacher cela à tes parents tout en faisant tout pour qu'ils s'en aperçoivent, ton discret, mais perceptible regret de ne pas arriver à me scandaliser, tout ceci te rend extrêmement semblable à d'autres adolescents que j'ai vus dans ce bureau.
Ce n'est pas de tes camarades de classe dont j'ai envie de te différencier. C'est de cet autre tout neuf désirant qui fut le premier à me dire, il y a pas tout à fait vingt ans, " Docteur, je crois que je suis homosexuel." Fait qui n'aurait entrainé nulle consultation, si ce n'est que cette fois, les cachets étaient blancs au lieu d'être roses, aussi blancs que celui qui les avait avalés tous d'un seul coup, crevant de ne pouvoir dire, émerveillé, fat, candide et horripilant, qu'il avait fait l'amour pour la première fois.
Que veux-tu, moi, j'aime bien quand le médecin n'est pas concerné.
3 commentaires:
Franchement, je reviens quand le médecin n'est pas consternant.
Je pourrais dire plein de choses, rebondir sur ma propre expérience (qui commence à dater) ou sur celle, plus contemporaine, d'un adolescent qui m'est cher... Je vais juste dire : merci pour ce joli billet.
Ton billet arrive au moment où je fais mon possible pour qu'une maman et son garçon de 13 ans, si peu masculin, renouent le dialogue. "Je n'en ai rien à foutre de ce que tu fais" lui dit-elle.
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