10.9.09
Et paf, ça fait des chocs à pic.
P., je l'ai connu pire que tout petit.
Je l'ai connu rapetissé, pas fuyant, non, mais assis, trop sage dehors, éperdu dedans, rétréci de ne comprendre le monde que par bribes.
Sa surdité, non connue malgré sa profondeur pourtant importante lui faisait le regard stupide, la réponse à côté de la plaque et le sourire gentil, éternel, en bannière plaquée.
Enroulé autour de son sternum pour tenir encore moins de place.
En fin de CE2, ça devenait pour le moins urgent de l'appareiller. Je n'ai pas eu d'autre mérite que d'être là, à faire de la routine. Ces gamins à l'ouest, d'abord, bêtement, je leur regarde le bout de l'oreille et cette fois-ci, je me souviens que j'avais changé les piles de mon vérificateur, parce que là, à ce stade, ça ne me paraissait pas possible. Qu'il ait survécu dans l'école sans avoir eu la tentation de taper tout le monde ou de fuir définitiveemnt me semblait tenir du miracle
Je venais d'arriver et, tout à la fois parce que l'histoire était grosse et parce que c'était l'un de mes premiers lancers de filet dans ce coin de mer, celui-là, je m'y suis attaché. Professionnellement, mais pour de vrai, avec, à chaque fois, un petit coin de vrai plaisir à le rencontrer.
L'appareillage lui a donné une claque, dans tous les sens du terme. Tout à coup, il pénétrait dans un univers de sollicitations presque insupportable. Les premiers temps furent douloureux pour tout le monde. Il n'avait pas d'autre défense que la colère devant l'envahissement soudain de la sensation sonore dans son monde. Et ses parents ne reconnaissait plus l'enfant qui disait oui à tout.
Et puis tout est rentré dans le calme et les consultations sont devenues un régal. Dès lors que son sens de l'observation pouvait lui servir à autre chose qu'à sa simple survie, il s'est montré d'un humour très vif et tout à fait généreux avec les adultes qui n'avaient rien compris à ce qui lui arrivait.
Ce n'était pas encore un monstre d'expansivité en public et on a tous eu un serrement de cœur juste avant son passage en sixième, mais enfin, il y est allé bravement avec son énorme cartable et un beau projet personnalisé.
Si je vous raconte ça, c'est que je l'ai entraperçu l'autre jour. L'a ben dû prendre une douzaine de centimètre, deux octaves et goût à pêcher autre chose que les bigorneaux, et il riait avec sa gang, de ce gros rire qui vous ferait désespérer de l'espèce humaine entre 14 et...
Mon vilain petit canard est devenu un parfait grand couillon.
Il a fait semblant de pas me reconnaître.
Ptit con.
J'ai rien dit, j'ai gardé ma lèvre supérieure rigide et je suis passée.
Ptit con.
L'adolescence de mes enfants, ça suffit pas? Faut encore se faire celle des patients?*
Pinaise, qu'est ce que je suis contente!
* la réponse est : oui, dans le meilleur des cas.
D'autant que dans le cas de celui-ci, il est tout à fait vraisemblable qu'il devienne, après ça, un adulte adorable.
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10 commentaires:
P'tain, moi aussi qu'est-ce que je suis contente ! Va savoir, mais l'histoire de P. me réjouit le coeur. Sans doute aussi que je suis en train de fortement ressentir avec une de mes greffières l'isolement qu'est la surdité. Ce que je savais mais n'éprouvais pas. Tu as un beau métier d'aider à comprendre ce qui coince les rouages humains. :-)
et moi aussi de lire ce billet ....
Elle me plaît bien, ton histoire!
En général toutes les histoires de ton boulot, même les tristes. Mais je préfère les gaies!
Emu je suis.
Après un truc du genre, tu sais que ça vaut la peine de continuer malgré toutes les emmerdes de ton gouvernement.
C'est chouette !
MAis tu m'inquiètes là, tu crois que les adorables petits enfants qui m'entourent vont aussi devenir un jour des ADO ?
Nooooonnnnnn
J'aime la tendresse de cette histoire. Et la très belle photo, sauf qu'il manque une image du grand oiseau qui regarde de loin, satisfait, un brin inquiet, avec élégance. Oui, j'ai beaucoup aimé ton élégance (la rigidité de ta lèvre supérieure) : ils t'en seront très reconnaissants aussi bien l'ado qu'il est maintenant que l'adulte qu'il sera demain.
"P'tit con" prend ici une de ces forces !...
Tu sais, en te lisant je me disais que mon grand aussi était tout simplement un ado et qu'est ce que cela me faisait plaisir de l'entendre rire bêtement avec ses copains ! Quelle victoire que ce rire !
Un jour, il va revenir et te remercier. Il t'aura pas oubliée.
Parole d'un autre grand couillon.
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