7.11.08

Miettes de temps.


(collage Jacques Prevert, exposé dans sa maison de Omonville la Petite)

Aujourd'hui, journée sans consultation.
En l'absence de patients, ça fait quoi, un médecin scolaire?
Si elle a une secrétaire, ça pourrait préparer une action de prévention, ou se former à l'une des bizarreries récemment identifiée dans sa patientèle.
Mais quand elle n'a ni secrétaire, ni internet, elle fait ça :

Arriver au centre médico-scolaire, pompeuse appellation d'un boui-boui laissé à l'abandon jusqu'à ce que j'arrive sur le secteur.
Ramasser le courrier, lancer le répondeur.

Courrier :

Un retour d'avis fait pour un bilan orthophonique chez un enfant dont la manipulation des sons me semble médiocre. Le psy du CMPP me répond qu'il s'agit d'un enfant fragile mais charmant. Il me la baille belle. Si j'étais un mec je dirais : voilà qui m'en touche une sans faire bouger l'autre. Ranger l'avis dans le dossier. Indiquer : "lecture à surveiller."

Un bilan orthophonique, un vrai, étalonné et tout, pour en enfant de CE2 en échec complet sur la lecture, vif comme un écureuil. Score pathologique partout. Prévoir une équipe éducative, un jeudi soir de préférence d'après les indications de la maman. Agenda : Gneuhh, dans trois semaines minimum. Ranger.
Trois demandes de dossier, dont une mal orientée. Trouver les deux dossiers en archives, inscrire le nom de l'enfant, la date de naissance, l'école initiale et l'école qui demande le dossier dans le répertoire "Dossiers envoyés". Bénir les deux départements, le mien et celui de destination ne pas exiger l'accord préalable des parents avant envoi de dossier. La loi sur la transmission des informations médicales et le secret partagé n'a jamais été pensé pour notre mode d'exercice qui cumule exigence de veille sanitaire et secret professionnel. Faute de cadre, chacun y va de sa ratatouille en priorisant ses courgettes personnelles.
Fourrer dossiers et demande dans une enveloppe. Prévoir d'aller à la mairie pour déposer le courrier
Mettre de côté la demande égarée pour l'apporter au collège idoine la semaine prochaine. Savoir qu'on a deux chances sur trois d'oublier.

Deux avis d'ouverture de session de formation premiers secours. Ranger dans la pochette idoine itou. Soupirer, parce que ma contribution se résume exactement à cela depuis un an : mettre les avis dans la pochette. Idoine. Si on prend la bleue au lieu de la rouge, ça vaut pas.

Fin provisoire du courrier.

Téléphone
:
Appeler Mme Z. Le projet personnalisé pour son fils a été rédigé il y a un mois. tout juste s'il ne s'était pas terminé par une embrassade collective. A ce jour, rien ne semble avoir bougé, et l'enfant se déprime. Savoir que cela peut être une vue partielle de la part d'une maman inquiète. Savoir que cela reste tout à fait possiblement exact. Reprévoir une réunion. Ecouter. Tenter d'être rassurant sans être lénifiant. Apprécier la courtoisie de la dame, malgré sa tension.

Appeler l'école. Sur répondeur. Merdoum.

Répondre à Mme Y. Sa fille m'en veut très fort. Doit rechercher activement s'il existe une poupée à mon effigie et des épingles. J'ai prêté l'oreille à quelques unes de ses copines qui s'inquiétaient de la voir couper les grains de raisin en six et écarter les petits pois de plus de trois mm de diamètre. Elle change d'établissement. J'explique patiemment que cela ne fera pas revenir les règles de sa fille, aux abonnés absents depuis assez de temps pour qu'on s'en inquiète. Pas convaincue. Un blanc quand je dis, avec douceur, que je travaille aussi dans l'autre établissement. et que je veux bien prendre pari qu'à la première semaine de cantine, j'aurais au moins un surveillant pour m'interpeller.
Griffonner un bref compte rendu, le glisser dans l'agenda. Ne pas oublier de le ranger dans le dossier qui est encore dans le premier établissement. Le temps que je m'en souvienne, le dossier aura glissé vers le deuxième établissement.

Savoir qu'à la fin de l'année, quoi que je fasse, j'aurai le même nombre de bouts de papier éparpillés un peu partout. Fort heureusement, mon écriture est la garante du secret.

Appeler l'école N. : oui, l'enfant D., bien qu'ayant bénéficié d'un passage anticipé en CP, a bien eu une visite médicale en même temps que les enfants de maternelle. En profiter pour régler quelques petits détails matériels en vue de ma prochaine visite.


Divers:



Accueillir l'infirmière qui vient de terminer le dépistage des CE2. Faire avec elle la liste des enfants qui nécessiteraient un avis de ma part. Asthme sévère, obésité, enfant qui apparait triste et négligé, agitation majeure, enfant qui a eu un bilan cardio et qui dit ne pas pouvoir courir, sans qu'on sache pourquoi, ratons laveurs, moutons à cinq pattes, éléphants blancs, moineaux. Regarder l'agenda. Blêmir.

Sortir des dossiers pour y jeter un coup d'oeil avant la réunion de cet après-midi avec la psychologue scolaire. Me demande si je vais apporter une couronne. Me décider plutôt pour des petits palets. Le Rased fournit le café.

Me rappeler brutalement que je suis déjà hors limite pour fournir mon état de frais de déplacement. J'abomine absolument cet exercice. Le tant, partie de, à telle heure, revenue ici à cette heure là, avec la voiture immatriculée nananananan, à verser sur le compte toujours le même depuis trois ans, au stylo bl- calamité, orage et disgrâce, où est mon stylo bleu?? Que la Grande Gidouille Ubique patafiole ces tétratrichillotomes!

Préparer mes visites de lundi. Sortir les dossiers, vérifier les feuilles de tests, les piles de l'otoscope, celle de l'audiomètre, le scotch pour la toise, la balance, le chronomètre, les crayons de couleur, les échelles d'acuité visuelle, le test de vision des couleurs, le sthéto, l'appareil à tension, le marteau à réflexe.

Tiens, un stylo bleu.

Fin de la matinée.

Vous vous êtes ennuyés?
Moi aussi, un peu.
Mais moi, j'étais quand même payée pour ça.
Gniark.

8 commentaires:

P'tit patapon a dit…

je connais aussi des journées comme cela puisque je bosse sur le secteur psy ces heures interminables occupées à cette foutue organisation d'une improbable continuité qui nous incombe,alors que de nombreuses personnes au chômage serait ravi de remplir les fonctions de secrétaire médicale,et dans le même temps la nouvelle tarification qui ne compte pas en acte "rentable"le temps passé à écouter les patients .

Sar@h a dit…

Ah, Ah, le stylo bleu ! Je connais !

Des journées comme ça, je ne connais pas … parfois j'en rêve ! Je vous rassure de temps en temps, je range … mais sur mon temps de bénévolat pour l'état.

La couronne, tiens, ça me rappelle que j'ai 8 dossiers à rédiger pour le maître G …

Tellinestory a dit…

En fait, je suis désolée que ce billet puisse apparaitre comme une plainte...
C'était plutôt une façon de dire que dans toute profession, il y a une infinité de petites choses, pas comptabilisées, des miettes.
Agaçantes peut-être, mais c'est bien pire quand on est à flux tendu.
@ Sar@h : moi aussi avant, je faisais cela en dehors des quelques 37h 1/2 que je dois à la consultation.
Maintenant c'est fini.
Finalement, c'est plutôt la consultation que je fais déborder parfois sur les horaires, parce que cela, au moins, j'y prend un plaisir que même notre désastreux employeur n'a pas réussi à m'enlever. Et parce que je le fais pour rencontrer certains parents qui ne PEUVENT vraiment pas venir pendant mes heures ouvrables.
Ces heures sup là, même non payées, me sont plus gratifiantes que le tri des paperasses.
Ça revient au même? Pas complètement... ;-)

Anonyme a dit…

Pas de médecin scolaire dans mon établissement, pas d'orthophoniste libérale disponible avant un an , pas de RV au CMPP avant 2 ans, pas de possibilité de faire tester les élèves chez lesquels je soupçonne une dyslexie, heureusement une infirmière qui fait le dépistage en 6ème et 7 élèves dans cette classe qui ont besoin d'être appareillés ( yeux et oreilles). Tu ne veux pas venir ici ? Je t'offre beaucoup de beaux stylos bleus ...

Oeillet vert a dit…

Je trouve ces lignes très intéressantes. Il y a le temps bien palpable et les enfants, tous ces enfants aux profils différents. Mon boulot ne traite pas directement avec les vivants, il passe par l'écrit. Souvent, je me sens inutile; mes efforts, joutes et autres combats ont des effets dérisoires (demander le changement d'une définition, changer la coleur d'une couverture : quel sens au final ?). J'aime bien ce texte. Merci

Marianne a dit…

Elle fait quoi la Madame médecin scolaire lorsqu'elle n'a pas de consultation ? elle pourrait mettre en collage son courrier , tous les dossiers qui n'avancent pas , toutes ses demandes restées sans suite,et envoyer le tout à son responsable avec une demande de budget pour créer un poste de secrétaire médicale ou pour augmenter le quota de stylos bleus ! Bon courage

Anonyme a dit…

Oh non, je ne me suis pas ennuyée. Je me suis délectée de cet amoncellement de petites tâches indispensables qui s'emmêlent les pinceaux, euh les stylos. Mais, à moi qui travaille seule et sans bureaucratie, tu as fait venir un grand coup de nostalgie pour la "vie de travail en communauté" et un peu de paperasserie.
Et maintenant, je sais ce qu'est qu'un otoscope !

Anonyme a dit…

J'aime bien lire la vie quotidienne de travail des autres.
ça change de la sienne propre. C'est dépaysant. On sent moins la monotonie que si on était dedans soi-même, parce que c'est nouveau.
Impression d'être une petite souris qui regarde depuis le dessous du bureau :-)