17.10.07

Le commerce, ce serait le plus beau métier du monde, s'il n'y avait pas les clients.


j'ai longtemps aimé l'infirmerie du Lycée du Grand Bigorneau, même s'il s'agit d'un bâtiment excentré dans lequel mon bureau offre le confort douillet et le degré de subtile invitation à la confidence d'un local du Guépéou, avec ameublement d'époque.
J'aimais cette infirmerie, parce que les deux dames infirmières qui y officiaient pratiquaient une forme d'écoute à la fois tonique, pleine de sollicitude et très professionnelle, qui en faisait un lieu précieux pour cet internat de lycée professionnel accueillant des jeunes gens variés, dont quelques uns pas mal cabossés.

Depuis le début de l'année, du fait de départs multiples, dont celles des deux dames sus citées, j'assiste, impuissante et navrée, au complet succès du module expérimental: "Vous qui souffrez, allez parler ailleurs"

Coté infirmières, ce fut vite plié. La titulaire du poste déplaça quelque fauteuils, ferma ostensiblement une porte ou deux, ressortit- de quel placard, Ma Doué?- un paravent tout à fait Assistance Publique 1960. Quelques traînements de savates malgracieux plus tard, le mot d'ordre avait circulé parmi les élèves. La titulaire pouvait amener son tricot, nul ne la dérangerait dans l'exécutions d'un audacieux point de riz perlé.

Restait donc, une accorte dame contractuelle,pas tout à fait en position de de force, mais pleine de bienveillance, décidée à contourner cet obstacle. Sans doute atteinte par le charme aussi mystérieux qu'insinuant du travail auprès d'adolescents, je la vis, après quelques jours éberlués, se préparer sereinement à faire le travail pour deux.

Mais voilà que l'administration, elle aussi nouvelle, enfonça un deuxième clou du cercueil: elle exigea que les élèves passent au bureau des surveillants avant d'aller à l'infirmerie.
Dans un lycée, avec de grands adolescents, cette mesure est une parfaite calamité sur le plan de la prévention, et d'une incroyable candeur en ce qui concerne la maîtrise du flux des élèves. Car enfin, quand un élève sort de classe, il est toujours PRESUMÉ se rendre quelque part, et seul l'accusé de réception de cet élève en fait preuve. Qu'un élève sorte de sa classe, ou qu'il sorte de la vie scolaire, s'il préfère courir le guilledou au lieu profiter des charmes de l'infirmerie, on ne le saura que si l'on s'informe auprès de l'infirmière.
y est-y venu, ou pas?
A moins d'exiger un bracelet électronique, y papu de sécurité là dedans que dans un parachute en béton cellulaire.

Par contre, il est parfaitement évident que cela a pour effet de filtrer les demandes. Du coup, les "je-meurs-allez-m'acheter-un hopital!" auront la double jouissance d'exposer leurs maux à deux étages.
Ceux qui va nous manquer, ce sont les dépressifs silencieux, les furtifs, les que le secret étouffe de l'estomac à la glotte et qui ne savent comment le faire sortir, les qui se parlent en crabe, de guingois, une patte devant, une patte derrière, les qui crânent, même pas mal et qui sont soi disant venus parce qu'ils ont la gueules de bois de leur week-end d'enfer, et ceux qui viennent justement à l'infirmerie pour éviter de cogner le CPE.
Ceux auxquels il me semble qu'on va manquer.

L'administration n'a rien voulu savoir lorsqu'excipant de mon ronflant titre de "conseiller technique auprès du chef d'établissement", j'ai fait remarquer que cette décision allait obérer gravement la prévention du suicide et sans doute celle des maltraitance.

L'année dernière, je partais en croisade pour que R ait une auxiliaire de vie scolaire. (Il en a une, et, curieusement, fait des apprentissages galopants, vient en chantant à l'école, et commence à emprunter des livres.)
Je crois que mon Delenda Carthago est de cette année est tout trouvé.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

La colère "saine" est un excellent moteur. Mon dragon personnel t'accompagne!
Tu nous diras quand tu les auras réduit en cendres cette montagne de bêtise et de lâcheté ? ( ou comment voir les problèmes là où ils ne sont pas de peur d'avoir à faire quelque chose d'utile...)

Tili a dit…

Ils ont mis laissé la marmite sur le feu et fermé la soupape. bigre... N'y a t-il aucun moyen de leur laisser voir leur responsabilité en cas de suicide AVANT que cela ne se produise ?

Anonyme a dit…

Le flicage des élèves me paraît plus important cette année. Est-ce l'air du temps ? Les chefs d'établissements et les CPE feraient -ils du zèle ?

Anonyme a dit…

Anita, le poême ou la chanson que tu as mis en commentaire chez moi me plaît beaucoup. Où l'as-tu trouvé ?

Marianne a dit…

Donc dans ce lycée les surveillants ont une formation médical.....
Tout remettre en cause en supposant que le demandeur est un fraudeur malheureusement cela semble être dans l'air du temps dans beaucoup de domaines .
Vivement le temps de la délation récompensée , j'ai plein de gens à dénoncer ....et bravo pour l' AVS de R .... car l'effet d'annonce de la scolarisation des enfants handicapés n'est pas toujours suivie des moyens adaptés et de la présence d'une véritable AVS .

Anonyme a dit…

Parfois c'est tellement accablant et monstrueux que je n'ose y croire... Mais jusqu'où peut-on aller dans la bêtise ?
Est-ce que les lycéens vont devoir chanter Maréchal Bulot nous voilà ?

Tellinestory a dit…

@Saperli: je vais d'abord essayer la pince monseigneur et le rossignol...
@Lise: l'essentiel est effectivement que les élèves ne POSENT pas problèmes. qu'ils en aient n'interesse qu'une minorité dans les arcanes décisionnaires de ce lycée. ce n'est heureusement pas le cas de tous les établissements...
@Tili: Oui, j'aimerai bien...Je suis aussi une flemmarde, et une cellule de crise, ça donne trop de travail.;-)
C'est pour ça que j'ai choisi la prévention, d'ailleurs...

@Oxygène: c'est un mouvement lourd depuis dix ans. Pour la chanson, réponse chez toi.

@Marianne: les surveillants peuvent faire un gros travail de détection, à la seule condition que les élèves viennent spontanément les voir. leur coller une mission de contrôle des allées et venues vers l'infirmerie peut paradoxalement diminuer le flux de confidences qu'ils reçoivent. Je partage ton avis sur la suspicion envers tout demandeur.

@Fauvette: jusqu'où? c'est un peu la question, malheureusement...

Anonyme a dit…

C'est épuisant, la bêtise... Je te souhaite beaucoup de courage, il en faut !