2.3.11

Carte postale de Portmagee.

Il y a, dans le voyage, deux fascinations différentes : le déplacement et le but. Il y a longtemps que je sais que le déplacement, même minime, m'est indispensable. Quelque chose dans mon cerveau a été programmé pour s'organiser en s'effilochant le long d'un paysage mouvant. Il m'arrive, même dans le quotidien, de préférer le trajet le plus long, simplement parce que je ne le connais pas et que ma pensée voyage mieux, accrochée aux minuscules découvertes du tournant qu'aux images trop connues.
Ici, je roule, avec l'effort délibéré d'arriver à me perdre. Celui qui connait les routes irlandaises me pardonnera mon bilan carbone. En quelques heures, je n'use pas plus de combustible que dans votre heure quotidienne d'embouteillage. Je roule à petits pas, bien contente d'avoir le temps de constater que décidément, les ajoncs d'ici n'ont pas la même odeur que chez moi, que je n'avais pas exagéré leur absolue suavité qui va de la pêche blanche à la femme amoureuse.
Je me suis, cette fois-ci, pourvue de gants et de couteau pour en renouveler les brins, chaque jour dans ma voiture.

Et puis il y le but, qui est toujours une arrivée d'emprunt, plus ou moins heureuse, plus ou moins offerte. Je suis en ce moment à Portmagee, un des endroits dont vous n'aviez aucune raison d'entendre parler et qui est exactement l'endroit où j'avais envie de venir. il y a une dégringolade de maisons vers la mer qui s'enfonce si loin dans la terre qu'elle y fait figure de lac. Il y l'ile en face qui prend si bien les tons de mauve et de gris des arrières-plans.
Il y a les deux ou trois bateaux de pêche qui font de la sole frite du Bridge Bar une copieuse merveille.
Il y a cet extraordinaire silence de la nuit, parce que c'est sur des dizaine de kilomètres que les moutons y sont plus nombreux que les hommes et que, eux, la nuit, ils dorment.
il y a aussi, mais c'est une autre histoire, des irlandais qui font le gros dos devant la claque monumentale que leur a flanqué la crise financière. Sur les trois jeunes gens qui peuplent avec moi l'impeccable auberge de jeunesse de Portmagee, l'un espère l'Australie, l'autre l'Allemagne et le troisième est revenu de Nouvelle Zélande pour tenter de repartir à nouveau.
Ils pensent au but et moi, au déplacement...

3 commentaires:

JEA a dit…

Il y a le début qui est parfois un départ d'embruns...

samantdi a dit…

J'aime tellement tes récits de voyage... je te suis, j'y suis, merci.

stephane a dit…

Je me souviens d'une guiness bue à portmagee après une longue promenade dans l'ile en face. Un parfum de bout du monde et d'éternité dans ce magnifique Kerry. Dans le coin en fait en face vers le nord, il y a une ile magique où on peut dormir loin de tout, blasket island. Si vous avez le temps et l'envie. C'est sublime. Je ne sais pas si en cette saison la navette marche...