21.1.10

Les voleurs de feu



Il voudrait que je l'aide à le dire à ses parents.
Ou plus exactement, je crois qu'il voudrait que je le dise zeugmatiquement à son père et à sa place.
Qu'il a fait l'amour et que c'était avec un garçon.
J'ai un œil sur les statistiques qui me montrent que, oui, il y a un risque largement supérieur à celui de certain virus grippal pour que son père le vire du domicile familial. Ou pour que cette seule anticipation le précipite au bord de la fenêtre ou un peu trop près de l'armoire à médocs.
Et puis j'ai un autre œil sur la courbe enfantine de sa joue et je me dis qu'il n'a que quinze ans, qu'il n'a personne à présenter à un repas du dimanche et que je ne conseillerais à nul adolescent de convoquer le regard de ses parents à cet acte infiniment privé.
Il ressemble à ces jeunes filles qui laissent traîner leur plaquette de pilules entamée dans la salle de bain de leurs parents.
A cet âge, faire l'amour, avec qui que ce soit, fusse avec soi-même, c'est contempler le soir venu, un éclat du feu dérobé aux Dieux. C'est accepter qu'il soit malcommode, douloureux parfois, de le garder en ses mains. C'est avoir la tentation de se soulager de son butin en le confiant à d'autres, y compris quand cela prend la forme d'un projectile lancé à la face du père, de la mère, de la menace.
Et grandir, c'est y renoncer.
C'est accepter que la brûlure dessine une trace à nulle autre semblable, à toutes superposable, ce lent passage de l'immense à l'îlot, de la découverte du plaisir à l'attachement à l'autre.
Oui, tous les adolescents ont envie de se tatouer sur le front "j'ai baisé!"
Et à tous, je témoigne que ça les regarde.
Je sais, il y a cette foutue statistique.
Mais en dehors de celle-ci, y-a-il une raison, une seule, pour que je te dise autre chose que : "garde cela pour toi, jusqu'au moment où tu pourras dire, sans peur et sans forfanterie, que tu es maintenant du côté des adultes"?
Cet infime scrupule peut-être, de me dire que la discrétion est parfois le luxe ultime de ceux que l'on a pas astreint de force au secret...



NB: Ce qu'il y a de bien, avec les modèles pas finis de cuire, c'est qu'ils vous obligent en permanence à lâcher les bonnes vieilles recettes trop éprouvées. Mes amis, voilà, après des années de boutique, que je débute dans le modèle ouvertement pédé tentant de vous refiler ses états d'âme. Qu'est ce que ce serait facile, la médecine, s'il n'y avait pas les patients... J'ai bien l'intention, pour l'instant, de ne rien faire d'autre que d'écouter. Mais s'il y a dans cette histoire quelque chose que je n'entend pas, merci, amis lecteur/trices, de venir me le corner aux oreilles.

9 commentaires:

Eric a dit…

P'tin, mais pourquoi le médecin scolaire de mon bahut n'a jamais fait preuve de cette bienveillante et discrète indifférence ? Certes, c'était bien longtemps les années SIDA, et peut-être que dans sa tête, les enfants ça ne vole pas le feu.

Et bien j'aurais bien aimé que tu y sois, toi, dans sa tête. Ça m'aurait peut-être aidé à me sentir moins seul et désemparé face à ça, et à faire l'économie d'une sacrée dose de culpabilité.

Tu peux toujours lui dire que c'est infiniment moins grave qu'une certaine grippe cochonne, à condition de sortir couvert, que la gravité de cette grippe-là réside surtout dans le regard des autres, même en 2010, et que c'est contre cela qu'il va aussi devoir apprendre à se protéger.

Pascal a dit…

Oui c'est clair, l'ado qui tombe du côté des adultes a envie de se le tatouer sur le front dès le lendemain matin ! Et il ne s'en prive généralement pas, le bougre.

C'est peut-être la seule particularité du cas que tu décris : il aimerait sûrement pavoiser autant que ses potes hétéros, sauf que lui, il ne peut pas. Alors il vient t'en parler à toi plutôt qu'à eux.

Faut peut-être sonder un peu pour voir l'image qu'il a de lui même ? C'est fréquent d'avoir une perception négative de l'homosexualité (et donc de soi) à cet âge-là, juste par manque de modèles positifs auxquels s'identifier.

Cunégonde a dit…

Il fait peut être de la provoc s'il ne sait pas trop où il en est.

Agaagla a dit…

moi je n'en sais rien, les ados j'en vois pas souvent (enfin, presque)

mais je suis toujours époustouflée de ce beau regard que tu poses sur les «pas fini de cuire» - un regard juste semble-t-il, un regard en tout cas qui à chaque fois en apaise une autre (zut d'ailleurs, j'ai oubliée de la sortir du four)

Tili a dit…

Ca lui appartient, évidemment.
Mais s'il te le dépose, c'est sûrement que c'est trop lourd... Attention aux peurs inavouées des MST, à la peur de demander à l'autre de se protéger...

Anonyme a dit…

Ca n'est sans doute pas à lui dire, mais les tentations homos (qu'elles perdurent ou pas) sont loin d'être un exception chez les ados.
Alors si ça se trouve... son propre père au même âge...

Anthom a dit…

En dépit d'une carrière entière au contact d'adolescents, je ne me risquerai sûrement pas à donner un conseil! Mais je tenais à te dire combien ce billet m'a touchée, combien j'ai aimé le respect qu'il témoigne. Je pense que ton ressenti ne risque pas de te conduire ici à commettre une erreur d'appréciation!

l'âne Onyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
l'âne Onyme a dit…

Crois tu vraiment que d'écouter revient à ne rien faire ?
Par contre trouves tu normal d'être isolée comme tu l'es face à ces problèmes et à la charge psychologique qu'ils supposent ?
Et tant d'autres choses encore...
Espérons que ton jeune patient n'aura pas le foie mangé.