J'ai rarement la ballade désintéressée.
Cela peut, bien sûr, m'arriver de goûter le plaisir pur du corps en mouvement, surtout quand je suis restée enfermée trop longtemps, ou bien quand c'est le soleil qui est resté trop longtemps dans un fauteuil de nuages.
Adolescente, je me suis prêtée beaucoup au jeu du "courage, c'est la dernière courbe de niveau, après, tu verras, la vue est superbe."
Mais en promenade, j'aime le butin. J'aime guetter ce qui se mange ou qui sent bon, la première violette, la fraise des bois, la châtaigne, le champignon que je ne mangerai pas, l'homme que je ferai qu'humer. J'aime ramasser des petits bouts de verre polis sur la grève, des coquillages troués, des morceaux d'écorces.
Moi qui ne court jamais à l'heure de rater le train, vous me feriez trotter en me promettant des myrtilles et des noisettes, moi la frileuse, je serai la dernière à lâcher le filet à crevette, même transie.
Si je garde un souvenir ému d'un lieu secret de la colline de mon enfance, c'est peut-être autant pour le chemin compliqué qui m'y amenait que pour la découverte que j'y fis : au delà de ce vieil immeuble, de cette porte ouverte au premier étage sur une cour minuscule, de cet escalier sans rampe, moussu et vertigineux, qui franchissait des espaliers abandonnés depuis des lustres, là haut, tout en haut, il n'y avait pas seulement une table en pierre, un rosier et une vue sur toute la ville. Il y avait aussi le plus saugrenu, le plus inattendu, le plus généreux des figuiers croulant sous les fruits.
Il fait trop froid pour la pêche à pied, les mûres ne sont encore qu'un appel vers l'été, je vieillis et les hommes comme les champignons me semblent plus souvent fades que réellement vénéneux; heureusement, la photo me tire encore du coin du feu et les amis veillent.
L'ami des villes, expert en contraintes, en chausse-trappes et en jeter d'os à ronger, me mit, en partant, sur la piste de cette mirifique idée : trouver l'alphabet qui dort dans le paysage environnant, et le réveiller d'un clic.
Comme plus y a de contraintes, meilleur c'est, j'ai décidé que mon alphabet serait, obligatoirement, portuaire et rouillé.
Edit: voili, je cherchais l'adresse sur le blog de Cali Rezo pour voir d'où venait l'idée... D'autres lettres, magnifiques.
13 commentaires:
Commentaire d'homme : si les hommes te paraissent fades ne serait ce pas parce que tu vieillis ? (sans rancune)
Ah! ai-je le nez moins fin avec l'âge, ou au contraire plus encore?
Mais rassure-toi, l'âne, je n'ai pas dit TOUS les hommes! Certains gens-que -j'aime décantent avec le temps sans désenchanter.
C'est un début. J'attends la suite pour écrire une phrase inoubliable. J'ai souvent mangé froid mon potage aux petites lettres.
Superbe idée mais attention ne pas ramasser les fers à béton car ils peuvent mener en prison .
Les hommes en champignons sans saveur et avec le temps ils se ratatinent ,mais se conservent mieux .
Oh, un abécédaire feu et bleu, mer et terre ! Je vais en guetter les lettres rouille que j'aurais peut-être envie de t'emprunter pour mettre sur un futur mur de pierre, qui sait, bientôt... (l'échéance se rapproche, news la semaine prochaine, sûrement)
Ouf merci, voila que je suis rassuré. Mais maintenant une autre angoisse : dans quel groupe me situer ?
Dans celui des ratatinés avec parfum concentré ?
Merci non !
Dans celui des dilatés au parfum affadi ? Non merci !
Mais chanter, rêver, rire, passer, être seul, être libre
Avoir l'œil qui regarde bien, la voix qui vibre
Mettre quand il vous plait son feutre de travers
Pour un oui, pour un non, se battre ou faire un vers
Travailler sans souci de gloire ou de fortune
A tel voyage auquel on pense, dans la lune
Et triomphant par hasard en garder le mérite
Bref, dédaignant d'être le lierre parasite
Lors même qu'on est pas le chêne ou le tilleul
Ne pas monter bien haut peut-être, mais tout seul.
Ah Cyrano, je n'y résiste pas !
Faire tout l'alphabet... j'attends avec plaisir et curiosité.
@L'Ane : et oui! s'il y en a un qui sait que le désir est tout autant affaire de nez que de panache...
Mais ce que nous ne savons pas,
ce que nul ne saura
c'est quel homme était Cyrano
quand il cessait de faire des phrases.
C'est d'ailleurs un peu pareil avec les bloghommes et les blogfemmes, cher âne estimé, fraternel et parfaitement onyme.
Ah quelle bonne idée !
Je parles de l'alphabet ;-), je vais le proposer à mes enfants qui ont la ballade "utile" eux aussi !
Pour les hommes, ben je ne peux pas commenter, mon Chum vieillit comme du bon vin, avec toujours plus de saveur et donc je ne regardes les autres qu'avec un œil repus ;-)
Moi qui suis fille de collines plus que de marées, ce qui me fait le plus rêver dans ce billet, ce ne sont pas les lettres rouillées (que j'ai tendance à trouver sinistres... ouh ouh, je sens le regard noir des gens de ports!) mais la merveilleuse évocation de cette table de pierre et de ce rosier, là-haut... Mon esprit aussitôt se perd dans ce lieu ... parfaite promenade en ce dimanche de paresseuse immobile.
Merci belle anita.
Mais il ne cessait jamais jusqu'à ce qu'une tuile...
Mais bien sur il avait ses petites lâchetés, ses craintes, ses espoirs, ses tristesses (ah l'ombre du nez sur le mur !) enfin juste comme j'eusse aimé qu'il soit : un homme quoi.
Le plus exquis des êtres sublunaires...
Je l'aime aussi beaucoup.
Très très beau début d'alphabet ! Je n'ai toujours pas commencé le mien, avec ma contrainte-à-moi-tout-seul. Je m'y mettrai la semaine prochaine, promis.
Signé : l'Ami des villes, encore en balade loin de sa maison.
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