12.5.08

Le bal des nostalgies


Sur le papier, cette journée apparaissait aussi traitresse, aussi propice à l'enlisement qu' une promenade en baie de Saint Michel. Aussi méfiant qu'on soit envers les principaux dangers, on sait, dès le départ, que les eaux souterraines ont creusé comme bon leur semblait et que les fondrières les plus menaçantes sont peut-être bien celles que recouvre une croûte apparemment ferme.
Mais des nostalgies à ciel ouvert, il y a en avait déjà une belle palanquée.
Le lieu, d'abord. Cette plage du Débarquement, c'est l'un des seuls endroits où je peux, de droit, m'asseoir et dire à mes enfants "voilà un endroit où, petite fille, j'ai joué, comme vous, au même endroit. "
Bien sûr, la ville s'est étendue derrière le front de mer et se plie à un merchandising de la mémoire, inconnu au temps où nous grimpions en toute innocence sur le char Sherman (?) qui tenait lieu de principal monument commémoratif.
Mais n'ont changé ni les haveneaux à crevette, ni la maison de mes grands-parents. Hideuse en en 1930, ayant survécu à l'occupation allemande et aux ravages des solides canadiens (;-))))) , elle reste petite, malcommode et charmante. La boulangère s'appelle peut-être bien encore Madame Marc et le glacier "le Bengali". L'extraordinaire stabilité des commerces permet même aux septuagénaires de la famille de désigner tel magasin par : " chez Msieur-dames-Merci" et un autre par :" chez Ça-Manque-en-ce -Moment-".
Identique est l'odeur de sable poussé sous les portes, et suspecte cette envie que j'avais proposer une partie de pêche à pied à l'enfant dernière...
Le deuxième exercice redoutable, c'était, en cet endroit le mariage d'un mien cousin, qui après une éclipse de près de vingt ans, rêvait du mariage qui n'avait pas eu lieu. Sans s'être aperçu-comment l'aurait-il fait, dans cette nuit tétanisée dans laquelle il luttait pied à pied?-qu'il n'y a que dans les contes de fées que le reste du château s'endort en même temps que le héros. Pour heureux que nous étions, et profondément car nous l'aimons, nous étions tous alourdis d'âge et d'histoires et nous sentions difficile de recréer les belles fêtes que l'on fait à vingt-cinq ans, quand les épousailles n'annoncent que des bonheurs sans mélange et des avenirs radieux.
Nous ne nous en sommes pas mal tiré. Il y eut des mots justes, posés en passerelles légères et lucides qui nous permirent de n'être ni dans la parodie, ni dans la répétition du drame. Il y a eu de la gaieté affectueuse et c'est absolument sans arrière- pensée que nous avons dansé sur des airs qui nous faisaient ricaner quand ils étaient de leur temps et du nôtre. *

Je me suis tirée d'un pas encore plus épineux et, qui plus est, sans dommage aucun, avec un plaisir doux et diffus, un tintement de cloche en argent dans le silence. J'ai reconnu sans hésitation , sous le poivre et le sel et derrière la joue plus émaciée, l'amour mince et blond de mes vingt ans. J'ai reconnu, à son sourire touché et réservé à la fois, qu'il y avait un vrai bonheur à se revoir, un bonheur sans poison et sans amertume, un bonheur qui nous a permis d'effleurer avec justesse les cicatrices de l'autre. Nous savions, l'un comme l'autre, illusoire et inévitable le désir d'effacer certaines balafres et nous avons été capables d'entendre le symétrique message:
"Ne me plains pas. Ceci est ma vie et il n'y a pas à regretter de ne pas en avoir eu d'autre. Ce que j'ai traversé et que je ne peux te présenter qu'en somme globale a été fait, pour moi, de jours passés l'un après l'autre, mélangé d'héroïque et de trivial, de résistance et de lâcheté, de questions métaphysique et d'histoires de yaourts périmés. Une vie quoi, contre laquelle j'ai fulminé parfois, dont j'aurais voulu à d'autres moments que ÇA s'arrête, même si je ne sais pas ce qu'était ce ÇA, mais vois-tu, une vie qui me permet aussi la douceur d'être là et de témoigner que nous avons été sincères et incomplets, et remarquablement tendres pour de si jeunes gens".

Quand je l'ai embrassé pour lui dire adieu, serrant son bras mince, pendant qu'il pouvait vérifier que j'avais suivi un inverse chemin, je me suis dit que la nostalgie, finalement, c'est comme les sables mouvants. Une fois qu'on est clairement dedans, la seule façon de s'en sortir, c'est sans doute de lui offrir volontairement, et pour un temps, le plus de surface possible afin qu'elle vous porte au lieu de vous engloutir.



* Au passage, et sans tag aucun, vous apprenez une chose parfaitement inutile sur Anita: elle PEUT danser sur "Alexandra, Alexandrie..."



6 commentaires:

Anonyme a dit…

Eh, je cherche killme (yeah), je m inquiète beaucoup (yeah bab') car je ne l ai pas vu depuis longtemps (baby yeah baby), il est peut être resté coincé (yeah) dans sa chaise (roll over baby) à cause de ses rhumatismes (baby) :)

Anonyme a dit…

(légèrement hors-sujet) Oh ! Nos grands-mères sont du même quartier ! Moi aussi je suis monté un nombre incalculable de fois sur ce char Shermann quand j'étais petit... Et les parties de cache-cache dans le dédale des blockhaus... Et la pêche aux couteaux sur la plage, avec du sel et une fourche... Et plein d'autres choses encore...

Tellinestory a dit…

anonyme: :-) (babe)
pascal: une tranche de falue?

Tili a dit…

Oh mon dieu, moi aussi je peux danser sans arrière pensée sur "Alexandrie Alexandra" :-)

Anonyme a dit…

Très joli billet. Je suis touchée par vos si justes échanges tacites.

Marianne a dit…

Nostalgies , balafres et cicatrices sur Alexandra , Alexandrie ? beau scénario . J'admire la maitrise de l'héroïne à sa place je pense que l'enfant dernière n'aurait jamais fait d'aussi belles et longues pêches à pied .