Aujourd'hui, c'était Assises de la Prévention. Qui vaut mieux que Courate de la Guérison, comme chacun sait.
Je ressors, comme toujours, partagée de cette journée, où il sera essentiellement question de la nouvelle loi sur la protection de l'Enfance, et où il sera beaucoup parlé des Familles qu'il est question de Placer au Centre du Dispositif. Je mets des majuscules pour que chacun soit conscient qu'il s'agit bien de concepts. Car les Familles, c'est comme les Pauvres, dans ce genre de grand messe, on ne cesse de les nommer, et on n'en voit pas la queue d'un. Sauf à penser que nous sommes, même nous les professionnels, toujours le Pauvre de quelqu'un, et pour le moins un bout de Famille, par en haut ou par en bas.
Mais là, j'attaque le Dogme.
Qui veut, bien entendu, que le Pauvre, ou la Famille
à mettre sous tutelle à aider, soit l'Autre.
J'exagère.
On va finir par m'accuser d'être du genre à dire "pfff, savent même pas nager!" le jour où les travailleurs sociaux marcheront sur les eaux. Mais au vrai, je suis, comme je l'ai dit, partagée.
Je suis si contente d'avoir vu tant de gens occupés à coincer les pieds dans les portes, que je suis même presque prête à tolérer qu'on prononce une fois de plus devant moi l'expression : "Intérêt Supérieur de l'Enfant". Et pourtant, s'il y a une expression qui me colle un urticaire de derrière les flaques d'eaux, c'est bien celle-là.
Je ne suis absolument pas capable de déterminer quel est l'ISE qui motive
l'AEMO ou celui qui meut le
TISF . Je suis tout au plus capable, au fil des ans, d'étalonner mon propre trouillomètre et de me dire, devant certaines situations : "
Bon. Là, ça suffit les conneries sur poupées vivantes. "
Mais le seul intérêt supérieur que je reconnaisse à l'Enfant, c'est de devenir adulte. Et cela se passe forcément en s'arrachant à l'enfance. Où, quand, comment, à quel coût, voilà bien des points sur lesquels je suis contente d'être à ma place, et pas à celle d'un juge.
Je sors de ces pince-fesses avec le sentiment qu'il est dans la nature des institutions de ne pouvoir saisir l'aspect dialectique et nécessairement conflictuel du grandir.
Une toute petite anecdote, comme cela, en passant parce que je sens bien que j'aborde des territoires à moi-même confus. Régulièrement, je découvre chez des enfants de cinq ans, des anomalies de la vision des couleurs. Parmi les professions interdites aux daltoniens, il y a celle de démineur dans l'armée. J'annonce donc, d'un ton grave qu'il faut renoncer à cette perspective d'avenir pour leur enfant.
Croyez moi si vous voulez, je n'ai absolument jamais rencontré de mère ni de père qui en témoigne un quelconque regret.
Et pourtant, il semble dans l'intérêt supérieur des nations d'avoir des gens qui acceptent le risque de sauter sur une mine antipersonnel.
J'en ai donc conclu que démineur au Kosovo, c'est comme flic au GIGN,
medecin scol, ou testeur d'héroïne à Bogota, c'est un métier qu'on décide quand on a l'âge de balancer aux orties ce que les adultes pensent bon pour vous.
C'est pas avec ça que je vais révolutionner la protection de l'enfance, hein?