Merci à tous ceux qui ont déposé un petit mot sur le message précédent. Je laisse sédimenter chacun d'eux et je verrai bien ce qu'il en sortira.
Etre médecin, c'est prendre sur soi une partie de l'histoire des gens. Il est des moments où il faut choisir, volontairement, délibérément, de ne pas se poser de questions. Il est malcommode de réanimer quelqu'un en se demandant si ce dernier en a vraiment envie. Ce n'est pas que la question n'existe plus, c'est qu'on la sort du champ de ses outils de travail. Ce qui est bien plus facile d'ailleurs quand on se l'est posée.
Dans mon exercice particulier, qui comporte infiniment plus d'écoute que de gestes, c'est ce genre de questions même qui est l'outil. Il y a longtemps que la fonction de dépistage s'est éclipsée au profit d'un travail de prévention plus difficile à définir. Quelque chose que j'appelle la fonction de pierre de résilience, du caillou au bord des routes qui tente de faire dérailler les trajectoires promises à l'échec scolaire, à la tentative de suicide, à l'agression d'un tiers, au dentier à 30 ans, à l'obésité morbide, à la grossesse non désirée, au refuge dans le statut du débile.
Mais il y a une autre trajectoire programmée qui m'inquiète d'autant plus qu'elle est un corollaire de l'action que j'entreprends : c'est la façon dont une particularité identifiée, dont il est nécessaire de s'occuper devient une façon extrêmement emprisonnante de définir un individu.
Ainsi, s'il m'est nécessaire de définir comment un trouble du langage de type dyslexie agit et infiltre négativement une part de la scolarité, il m'est tout à fait nécessaire de poser qu'un trouble neurologique n'a jamais fait ni une personnalité, ni un destin.
Et encore, la question se pose bien plus simplement quand il s'agit d'une particularité vécue assez consensuellement comme un trouble, que quand il s'agit d'une particularité tenue pour une variante.
Charybde, c'est nier la particularité lourde à porter. Scylla, c'est rapporter l'ensemble des éléments à cette particularité et priver l'individu d'un espace de négociation interne indispensable à sa construction.
Si je reprends l'exemple de la dyslexie, l'identifier ne doit pas conduire à priver un enfant de la résolution du conflit entre le désir d'apprendre et le bonheur regressif de la paresse.
En ce qui concerne mon petit jeune homme, je veux bien l'écouter autant qu'il voudra, mais ça ne suffit pas. Je dois me demander quelle partie du puzzle s'adresse au médecin.
Ce n'est pas l'homosexualité qui me questionne en soi. C'est la question de la révélation à sa famille. La récurrence avec laquelle cette révélation produit comme conséquence de la violence à enfant, physique ou psychologique, m'oblige à tenir la question ouverte.
Par ailleurs, je vois bien comment Eric-représentatif en cela, me semble-t-il, d'un certain nombre de pédéblogueurs- se remémore ses années lycées comme celle du secret imposé épouvantablement lourd. Qu'il soit en ceci rassuré : en ce qui concerne mon cas clinique, il doit y avoir seulement 17% du lycée qui n'est pas au courant. Et il pratique une activité dans laquelle il me semble avoir non seulement compréhension, mais en plus un beau vivier de zamoureux potentiels.
Donc, ce n'est pas par peur du rejet de son propre groupe social qu'il est venu me voir.
C'est vraiment lié à sa famille et plus encore, à mon humble avis, à son père. Et c'est là qu'est mon Scylla. Il m'est arrivé d'annoncer une grossesse à une famille, en nom et place de la jeune fille, parce qu'il y avait urgence à statuer et éviter un bain de sang. Mais j'ai toujours considéré cela comme un recours ultime.
Dans ce cas précis, il n'y a pas urgence. Je vis comme un écueil de priver ce jeune homme d'une négociation indispensable : pour quoi a-t-il un besoin si urgent de le dire? A qui?
N'y a-t-il pas, dans cette urgence à se définir comme pédé une esquive de la difficulté obligatoire, inévitable, de se définir comme un individu au regard de ses parents? Dans cette envie terrifiée (qui est la définition de l'ambivalence) de risquer la phrase fatale "Tu n'es plus mon fils!", n'y a-t-il une façon d'enterrer la question "En quoi, je suis et demeurerai quand même le fils de cet homme que pour l'instant je méprise?"
Bref, bien qu'ayant cultivé une certaine maîtrise dans l'art d'éviter qu'on me lance mon bureau à la figure lors des premières minutes de débats houleux, je ne suis pas pressée d'ouvrir celui-ci.
Merci encore à ceux qui ont alimenté ma réflexion!
PS : je me relis et je vois bien que les questions que je me pose sont finalement bien plus générales que je pensais au départ et peuvent tout autant s'appliquer à la façon dont le monde adulte a fait main-basse sur la sexualité adolescente en général...
6 commentaires:
Tu poses la question du patient et du symptôme. Mais également de l'interaction entre le patient, le symptôme, les rapports familiaux voire sociaux et le médecin qui observe tout ça.
Je ne crois pas qu'il y ait de réponses simples aux problèmes complexes.
Il faudrait avoir la simplicité de raisonnement de notre Ministre de la Santé pour s'imaginer pouvoir tout classifier, faire entrer dans un programme qui fournira la drogue ad hoc sensée guérir du symptôme. Le tout bien évidemment classifié avec un coût prédéfini et un budget en rapport.
Je m'arrête là, il y en aurait trop à dire : comment un raisonnement économique poussé jusqu'au ridicule est destructeur pour une société. Comment la volonté de standardiser l'humain pousse au suicide et bien d'autres choses encore...
(Pardon pour avoir autant occupé l'antenne.. je laisse la place)
En vrai si tu venais livrer ta réflexion à l'IOUPHMMM où j'ai subi cette semaine une énième conf bateau sur la psycho de l'ado et l'archi connu complexe du homard (et rien de plus) .... ce serait bien...
(comment tu étais occupée à vacciner ?, drôle d'idée)
J'ai admiré mon "petit" beau-frère (il est petit ET jeune, d'où), à l'heure de la révélation.
Diable sait que ma belle famille n'est pas facile à manier, et il a subtilement laisser traîner des indices, puis des évidences, gardé son cap quoi qu'il arrive pour une révélation sans heurts. Du coup tout le monde "assume" aussi bien que lui.
Le soucis c'est qu'il a un coeur d'artichaud et qu'on gaffe régulièrement sur le prénom de l'élu, mais ça, ça n'a rien à voir avec l'homosexualité.
Et je me demande, depuis toutes ces années, comme un petit bonhomme avec des cartes comme ça en main a pu rester aussi serein et déterminé, au moins en apparence.
Respect à lui. Et à ses parents aussi, malgré tout.
Merci infiniment pour toutes ces questions qui font du bien quand elles sont posées !
Notre grand garçon de 28 ans nous a annoncé à Noël qu'il s'installait avec son ami… Comme quoi être entouré depuis l'enfance d'une nuée de bonnes copines peut bien faire paravent! Il est heureux de ce qu'il vit et nous sommes heureux pour lui. Mais je m'en veux terriblement d'être passée à côté de ce qui a été pour lui une évidence depuis tout le temps.
Pour nous ses parents, ce qui nous fait peur c'est, comme tu le dis si bien, la façon dont une particularité identifiée devient une façon extrêmement emprisonnante de définir un individu.
La 1ere personne à qui j'ai pu en parler, c'est une femme médecin avec qui j'avais un rdv de routine prévu depuis des mois. J'ai failli lui sauter au cou tellement les mots qu'elle a eu étaient sympas. J'avais besoin de ce premier pas et de son retour pour ne pas en faire un secret et nous habituer à ce choix non standard.
Merci aussi au commentaire précédent d'Anne.
Un peu de poésie : petit film
Des bises
En restant dans le domaine médical, il est vrai qu'il y a parfois une grosse tendance à définir l'individu par son trouble/sa pathologie, etc. Je me souviens d'un prof qui ne nous parlait plus que "des dyspha" et même plus d'enfants souffrant de... et qui avait quand même lâché qu'on ne pouvait pas permettre aux gens, une fois adultes, de se cacher derrière un "j'ai eu des problèmes dans l'enfance", ça m'avait suffoquée. J'avais envie de descendre lui prendre le micro et de lui demander s'il se rendait juste compte de comment il désignait ces patients depuis le début des cours.
Rien que le fait que toi, même dans ton rôle de médecin, tu sois consciente de ça, ça change quelque chose pour le patient, j'en suis sûre.
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