12.5.10
Deux passants.
Ce matin, je regarde deux hommes sortir d'une voiture noire et, symétriquement, enfiler leur veste pour commencer une journée de travail.
Ils ont un peu plus que la trentaine, leurs traits sont agréables, plutôt neutres.
La voiture est parfaite propre, onéreuse sans doute, sans être ostentatoire, les chemises bleu ciel, les costumes bien coupés.*
De parfaits salary-men.
Et je découvre tout à coup, à quel point l'espèce m'est étrangère. Je suis moins désarmée par des hommes en boubou rose, par les marins du coin qui vous écrasent trois phalanges en toute généreuse inconscience, par les ex-junkies tatoués partout où il n'y a pas de veine affleurant, que par ces exemplaires répétés d'hommes corrects et interchangeables.
Je les rencontre parfois, quand ils viennent, entre deux rendez-vous professionnels, accompagner des enfants gentils en visite de maternelle. Si je demande un avis spécialisé en ophtalmologie, je suis sûre que cela sera fait. Et il est même possible qu'ils le feront eux-même et n'en chargeront pas forcément leur épouse. Ils sont courtois, efficaces et je les perçois comme indifférents.
Souvent, l'interrogatoire est pauvre. Tout va bien.
Est-ce la représentation que j'en ai, qui fait que je ne trouve pas la porte d'entrée? Est-ce au contraire, parce qu'il n'y a rien à voir, que je n'ai senti ni résistance, ni point de passage, que j'ai le sentiment qu'ils ne m'ont rien dit?
Probablement des deux. Mon efficacité tient à ma capacité de me fabriquer une image mentale des courants tensionnels, des marges de manœuvre, des mélodies intimes et des questions de mes interlocuteurs. Tout autant, voire bien plus que ce me disent, de leur enfant, mes mains et mes yeux. Et, sauf si l'imperfection de leur progéniture lance la consultation vers un terrain plus animé, la plupart du temps, je ne vois rien. Que des hommes corrects.
Est-ce l'éclat aveuglant de leurs chemises bien repassées qui brouille ainsi mes repères? Comment ça vibre, un homme impeccable? Est-ce que ça pleure? Ça rêve de quoi?
Ce costume leur est-il une jouissance, une obligation ou une armure?
Ce rasage de si près, est-ce à leur patron qu'ils le dédient ou à un amour?
Je regarde les deux inconnus approcher. Ils détonnent vaguement, dans cette rue. L'espèce n'est pas si nombreuse, ici, dans ce pays où les employés de banque risquent parfois l'absence de cravate et où, au vu de l'état de leur pantalon, vous donneriez cent sous aux hommes les plus riches du coin.
Je guette, du coin de l'œil, un rien, un tressaillement, un éclat de rire, un faux pas. Je n'ai pas d'hommes semblables dans mon paysage personnel, ni père, ni frère, ni époux, ni amis. L'un de mes oncles, peut-être, fut à cette image là.
Et peut être, d'avoir été une nièce assez aimée pour avoir eu de rares et brefs aperçus de sentiments profonds mais exprimés comme en se cachant, me laisse le sentiment que ces hommes là restent des hommes liés, comme lentement déshydratés, rendus pour ainsi dire, inaccessibles à eux-mêmes.
Passant correct en costume neutre, comme j'aimerais, si tu passes ici, tout vivant de tes rêveries, que tu me démentes...
* Je ne me souviens plus de la couleur de la cravate, mais il y en a de très jolies chez M. KA...
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10 commentaires:
Quand j'étais sensé être prof, la seule cravate jamais portée concrétisait un cadeau offert par l'une des assidues obligatoires devant l'estrade. Une Indienne. Qui urina sous elle une heure où j'élevai si peu (me semble-t-il toujours) la voix. Le cours arrivé à terme, sortie soulagée des jeunes. Elle restait figée. Le temps de comprendre son état de fausse statue. de trouver un rouleau de papier. De lui poser sur les épaules un large imper pour qu'elle se rende aux toilettes.
Quelques jours après : cravate dans ses mains tendues ! En soie et couleurs très vives. Mise au cou ce jour-là. Concussion de fonctionnaire ? Echange de confusions.
" et où, au vu de l'état de leur pantalon, vous donneriez cent sous aux hommes les plus riches du coin......"
et au pêcheur qui porte un pantalon rouge délavé et troué coupeur de tête des p' tites vieilles . C' est vrai que l' état des pantalons laisse perplexe même la compagne un ti peu coquette . Enfin.....y a pire comme défaut ( soupirrrrr ) .
Je ne suis pas un homme mais je pense que si tu m'avais devant moi pour une de ces visites scolaires obligatoires tu aurais la même impression...
Tout va bien circulez il n'y a rien à voir...
Simplement parce que mon expérience, lors de ces visites, c'est que effectivement "il n'y a rien à dire".
Par contre si tu m'avais devant moi pour prendre un petit thé vert marocain avec des petits gâteaux et les enfants de quoi jouer et rire dehors, ou devant un bon feu de cheminée ou même à regarder les vagues sur la plage, sûrement qu'on papoterais pendant des heures ;-)
Simplement parce que mon expérience, lors de ces visites, c'est que effectivement "il n'y a rien à dire".
Chère Tili, il est tout a fait possible que tu me répondes ceci à la rubrique "Antécédent médicaux des parents".
Mais il est fort probable que je lève discrètement un sourcil. Parce que le dixième de seconde d'hésitation s'entend parfaitement à la longue. Tout simplement parce que mentir (ou omettre) à son médecin n'est pas tout à fait la même chose que le faire devant son enfant qui sait très bien à quoi s'en tenir.
Et peut être que tu ne dirais rien de ton cancer du sein et de ta longue bataille, mais dans le croquis, il y aurait "il y a quelque chose dont elle ne veut pas parler".
Il arrive souvent que tout aille bien. Je ne suis pas à l'affut des seuls dysfonctionnement. J'essaye de me faire une idéee aussi de comment ça va bien.
J'ai rarement ce sentiment de "feuille blanche" en présence de femmes, même celles avec qui je ne partage pas de culture commune.
Quant à celles avec qui je partagerais très volontiers un thé quand elle aura fini son tour du Monde...
@JEA: pauvres de vous deux! Mais à mes interrogation sur ce qui se passe sous la surface des ces deux passants, vous rajouter une question "ont-il un blog?"
C+E: on va se cotiser! mais il remettra sans doute le vieux!
Arrh, cousine, j'ai eu le même flash très récemment devant le même genre de Ken Boy parfait dont n ne sait même plus dire si on les trouve beaux ou pas, une espèce hors vie, hors sang, hors crise hors débordements, un efficace déguisement pour glisser dans la meute?
Ah oui je me souviens, c'était en très fin d'après-midi , sortie de la population "cadres" , Blagnac airport....Très jeunes, très parfaits, très ...
Ah oui, je n'avais pas pensé à ça ;-). Tu t'imagines, j'avais OUBLIE :-D
Tu sais (non, en fait tu sais pas), quand j'ai informé l'école (par écrit) de ma maladie et que je leur ai demandé de faire attention à mes enfants, j'ai su par les maîtresses que la psy en avait été informée. C'était parce que la maîtresse était bouleversé que ma fille lui demande en pleurant si sa Maman allait mourir... (c'est la maîtresse qui me l'a raconté plus tard).
Mais personne n'a cherché à me parler ni à mon mari...
Quand j'ai réapparu, avec un foulard sur la tête, mis à part mes vraies copines, les mamans me regardaient du coin de l'œil beaucoup en n'osant plus me parler et les maitresses me parlaient dans la porte. C'est moi qui ai demandé RDV pour savoir si ça allait pour mes enfants.
Mes enfants ne sont pas allées chez la psy ni chez le médecin scolaire car: "mais ça doit aller bien madame, puisque vos enfants sont toujours en tête de classe !"...
Par contre je les ai emmenés consulter en dehors du cadre scolaire...
Je ne me souviens pas qu'on m'ait demandé mes antécédents à l'école non plus.
C'est sans doutes pour cela que j'ai développé cette impression que ça ne les intéresse pas...
Mais en te lisant je me dis que peut être d'autres professionnels auraient pu montrer plus d'intérêt pour nous, peut être que l'année prochaine nous aurons quelqu'un qui voudra entendre :-)
Ça n'empêche que je parle plus hors contexte professionnel, na ! :-D
Des comme ça moi j'en connais. En vrai, c'est un déguisement. Tu vois Batman ? Ben c'est pareil, tout lisse et sans aspérité le jour, non seulement ça leur permet d'entrer dans leur moule professionnel, pétri de codes à respecter, mais ça n'offre pas d'angle d'attaque à l'adversaire potentiel. Une fois rentrés à la maison, le costume déposé, le jean enfilé, on a généralement affaire à des gens on ne peut plus normaux ! Sont même parmi ceux que je préfère, même, y'a un mystère à aller chercher, des fois on trouve même un trésor !
@Planeth : Jathénaïs nous donne un début de réponse...
Sauf que les mecs qui enlèvent le costume à la masion, souvent aussi, ils l'enlèvent quand ils regardent leur progéniture gribouiller un mââgnifique bonhomme ou jouer à "doigt sur le nez" avec le bizarre docteur et ses jeux idiots.
Ceux qui m'intrigue, c'est... les autres.
A part ça, oui, c'est hot, un mec bien propre qui perd son lisse!
@Tili : t'aurais-je rencontré ou pas? ça mérite une réflexion et peut-être un billet.
Moi j'ai un papa comme ça. Enfin je pense, je n'ai pas dû tellement le voir chez un médecin avec moi et le docteur lui posant des questions. Et puis il s'intéresse un peu, mais sinon c'est ça. Il est toujours en costume, le soir il se change mais c'est pas très dévergondé, toujours sérieux toujours professionnel. Quand j'étais petite il cirait ses chaussures tous les matins. Les sentiments ne sont pas vraiment exprimés et s'il en a, non, c'est sûr, ils ne s'expriment pas de la même manière que chez nous, ne se formulent pas de la même manière voire il n'en a pas conscience de la même manière - enfin je pense, c'est ma grande interrogation actuelle. Au travail une espèce de sens du devoir, une rigueur absolue, un sacerdoce. Il porte son costume et sa cravate, je ne saurais pas dire pour quelle raison précise, mais il n'est pas malheureux. Et puis il joue du piano, il nous chantait des chansons toujours, il nous a fait petites des supers anniversaire, certains lui trouve beaucoup d'humour, et - mais ça plein ne me croient pas - je vous jure qu'il aime le foot. :o)
"Passant correct en costume neutre, comme j'aimerais, si tu passes ici, tout vivant de tes rêveries, que tu me démentes..."
Dont acte.
Je suis de ces hommes.
33 ans, costume-cravate, cheveux soigneusement décoiffés, maîtrise de la politesse et du savoir-vivre, toujours un mot gentil pour tout le monde et peu, mais alors très peu d'aspérités. Je suis "parfait".
Deux jours par an j'amène une de mes filles à l'école, j'échange les banalités d'usage avec la maîtresse, deux autres l'autre à la nounou, j'échange les banalités d'usage avec celle-ci, je ne médis pas sur leur mère et tout est bien.
Mais Jathenais a raison.
Et pour voir la BATcave, bêinh on clique sur le lien.
Bonne suite,
Olivier
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