Les catastrophes naturelles me laissent sans colère, avec une compassion aussi intense qu'inutile et, en ce qui concerne le pragmatisme des japonais en matière de gestion du risque sismique, avec une franche admiration.
Vu d'un pays où on cumule les effets de manches, où la gestion récente d'une grippe plutôt moins mortelle qu'une autre a été une bouffonnerie digne du bordel autoritaire soviétique, l'efficacité des mesures nippones, de la construction au mode de rassemblement des enfants scolarisés m'impressionne singulièrement.
C'est bien la préoccupation continue d'intégrer le risque sismique dans (presque) toutes les activités humaines qui donnera un probable rapport de 1 à 100 entre le nombre de victimes haïtiennes et le nombre de victimes japonaises, malgré une magnitude plus élevée pour ce dernier tremblement de terre.
Mais, si l'explosion de la centrale de Fukushima atteint le caisson du réacteur, les japonais risquent de payer un tribut plus élevé encore, bien que plus tardif, à une catastrophe qui n'a rien de naturel. Je ne doute pas que, comme les écoles maternelles, les centrales nucléaires aient été construite en incluant la prévision d'une secousse de forte amplitude. Et je n'ai aucun doute sur le fait que des experts vont améliorer leur connaissance de la prévention, résumant la catastrophe à sa part accidentelle imprévisible.
Ma position sur le nucléaire ne bougera pas d'un iota. Elle repose sur mon incapacité à vivre comme pérenne et stable toute activité humaine, alors même que la nocivité engrangée de la radioactivité l'est pour des siècles et des siècles.
Non rien ne dure des constructions humaines, ni les lois qui encadrent la constructions, ni les structures politiques qui soutiennent ces lois, ni la vigilance, ni les affirmations du plus jamais ça.
25 ans après la catastrophe de Tchernobyl, qui se préoccupe de l'effondrement, goutte de pluie après goutte de pluie, du sarcophage fissuré censé nous protéger d'un nouvel accident?
Qui se préoccupe de la difficulté pour les équipes de recherches russes, ukrainiennes et bélarusses à trouver des financements pour leurs études à long terme des conséquences des retombées radioactives sur la santé publique? Si vous avez envie d'être à la fois effrayés et en colère, allez donc faire un tour sur la page qu'un confrère, JP Bachy,
consacre à la bibliographie sur ce sujet.Alors, je sais. J'attends les arguments économiques qui me diront l'importance de l'indépendance énergétique, de prévoir la fin du pétrole et cela réveillera des fantasmes archaïques de populations errant dans le froid et la nuit. Il n'y a pas de plus grande pesanteur que celle qui pousse un système à se survivre. L'énergie nucléaire est un garant de la croissance.
Oui, mais laquelle?
Par un de ces rapprochements qui ne frappent que lors d'évènements majeurs, je regardait justement un extrait du travail photographique de
James Mollison, me promettant d'acheter le livre. Il s'intitule
"Where children sleep" et met en dyptique un portrait d'enfant et l'endroit où il dort.
Katia, qui vit toujours, je l'espère du fond du cœur, à Tokyo, a 4 ans, trente robes et trente paires de chaussures.

Nous ne saurons rien de ce garçon, sinon son visage, son initiale nationalité, probablement roumaine et qu'il dort en Italie.

Ce ne sont pas les politiques énergétiques, qui, en elles-mêmes, empêchent certaines populations d'errer dans le froid. C'est toute la politique.
La décharge produite par le tremblement de terre aurait, dit-on, modifié l'axe de la terre de 10cm.
Je me demande si le risque consécutif d'une explosion nucléaire va à son tour, modifier, même imperceptiblement l'axe de pensée des milliers de parents de petites Katia. Risquer sa peau pour continuer à habiter là où sont ses racines ou son avenir, vivre avec le risque sismique pour ne pas laisser la catastrophe tout envahir, vivre et reconstruire, soit. L'être humain a toujours habité des zones dangereuses, parce que ce danger ne dépasse pas les possibilités de représentation humaine et restent généralement à l'échelle d'une génération.
Mais risquer sa peau, celle de ses enfants, de sa descendance pour offrir à Katia, 4 ans, une trente et unième paire de chaussures, garder sous des clés précaires, un si grand potentiel destructif pour soutenir la fabrication d'objets conçus pour leur inéluctable obsolescence, est-ce vraiment pragmatique?