Dans un premier temps, on cherche à le surmonter, parce que qu'on croit que le chagrin est un adversaire. Et puis on s'aperçoit un jour que c'est, malgré son caractère désagréablement humide et sa façon de vous foncer dessus sans crier gare, un drôle d'allié. Dans cette obligatoire réorganisation du monde à laquelle le deuil vous assigne, on n'est pas trop, du chagrin et de nous, pour s'y mettre.
Oui, il faut faire sans l'autre que l'on a aimé et cet impératif est une douleur nue.
Il n'y a pas d'autre remède à cette douleur que le chagrin, sa patience, son inaltérable capacité à ramasser dans le chaos, ces toutes petites choses auxquelles on ne savait pas tenir.
C'est lui qui organise, fragment par fragment, l'image à l'intérieur de soi, qui elle, jamais ne nous quittera. Il n'a pas de hiérarchie, il se moque des sentiments élevés, il tolère avec tranquillité des vieux trucs un peu ridicules, des tics de langages, des petites manies indéfendables qu'on croyait nous agacer et qu'il replace obstinément dans notre corbillon.
Ce n'est pas un allié confortable. Ce qu'il édifie n'a rien de beau. Vu de l'extérieur, ça ne ressemble à rien, ça semble sans structure, ça mélange le trivial et le pur, le bibelot et l'instant, le rire incontrôlé avec le sanglot. Il ne s'annonce jamais poliment, il n'a pas d'égard pour votre fatigue ou votre lassitude, il se moque du lieu où l'on est ou de la tâche qu'on exécute. Plusieurs fois, on lui demandera, on le suppliera même de nous lâcher. Mais son temps n'est pas celui du calendrier. C'est celui de la cohérence retrouvée, du lien pacifié entre l'avant et l'après, des fragments réincorporés maintenant indissociables du maillage de notre vie.
Et un jour, plus tard, on s'apercevra que cela fait longtemps qu'on ne l'a pas vu. On ne saura pas exactement à quel moment il l'aura fait, mais on sait que ce jour là, il aura laissé de côté sa gravité coutumière et vous aura déposé l'ombre d'un baiser sur la joue en vous disant :
" Va. Tu peux faire sans moi, maintenant. Je ne reviendrai que lorsque tu auras besoin de moi"
Et l'on continue de se souvenir, sans urgence, sans alarme.
19.8.12
Amarres
Ici, il y avait ce bateau dont l'amarre avait lâché et qui, privé de tout moyen de défense contre la mer, pitoyablement couché, embarquait vagues et goëmons.
Là-bas, il y avait cette vieille dame qui doucement, paisiblement, se désarrimait, sans drame, sans s'en scandaliser le moins du monde, attentive, malgré la douleur, à saluer l'affection des siens.
Pas d'autres liens entre ces deux faits que de toucher des gens que nous aimons.
Nous avions longuement parlé, avec S. de ce moment si questionnant pour nous-même, où nous savons qu'il faut lâcher prise, où il n'est plus question de bataille mais de veillée, où la moindre colère, la moindre rancune contre le sort serait un obstacle à la tendresse qui doit là, couler à flot continu. Nous savions aussi que ce moment-là, s'il vient, n'appartient qu'à chacun, dans un temps, d'une façon qui lui est propre.
S. avait choisi d'accueillir sa mère chez elle, parce que leur histoire, et au delà, l'histoire de son village était comme cela.
Et c'était bien d'entendre son intime conviction d'avoir fait ce qu'elle et sa mère voulaient.
Ici, la veillée allait au rythme de la marée et de ses coups de boutoir dont il fallait protéger le bateau.
Pas d'autre lien.
Et pourtant, dans cette bataille qui dura quatre jours, je savais que l'énergie que j'y mettais était l'exact miroir de ma conversation avec S. Lâcher prise n'a rien d'instinctif. C'est un apprentissage qui ne tient qu'à l'expérience de renoncements antérieurs. Ici, on a poussé, tiré, fait des plans, trouvé des solutions et on a beaucoup râlé contre ces salopes de vagues qui y avaient été vraiment trop fort le mercredi et qui ne se forçaient plus, maintenant, pour arracher le bateau à sa gangue de vase.
Et nous étions plusieurs, dans notre rage, à penser à S., là-bas.
Le samedi, à la seconde même où grâce à un bateau ami, celui de E. s'est remis à flotter sous nos cris de joie, S. nous a annoncé la mort de sa mère.
De ces deux sentiments, la joie et la peine, lequel a subtilement modifié l'autre? Je n'en sais rien.
Mais même une incroyante comme moi se plait à voir dans la simultanéïté de ces deux moments, le signe que cette dame a dénoué ses amarres au moment où la plus belle vague arrivait pour elle.
Pour S. Avec toute ma tendresse.
Là-bas, il y avait cette vieille dame qui doucement, paisiblement, se désarrimait, sans drame, sans s'en scandaliser le moins du monde, attentive, malgré la douleur, à saluer l'affection des siens.
Pas d'autres liens entre ces deux faits que de toucher des gens que nous aimons.
Nous avions longuement parlé, avec S. de ce moment si questionnant pour nous-même, où nous savons qu'il faut lâcher prise, où il n'est plus question de bataille mais de veillée, où la moindre colère, la moindre rancune contre le sort serait un obstacle à la tendresse qui doit là, couler à flot continu. Nous savions aussi que ce moment-là, s'il vient, n'appartient qu'à chacun, dans un temps, d'une façon qui lui est propre.
S. avait choisi d'accueillir sa mère chez elle, parce que leur histoire, et au delà, l'histoire de son village était comme cela.
Et c'était bien d'entendre son intime conviction d'avoir fait ce qu'elle et sa mère voulaient.
Ici, la veillée allait au rythme de la marée et de ses coups de boutoir dont il fallait protéger le bateau.
Pas d'autre lien.
Et pourtant, dans cette bataille qui dura quatre jours, je savais que l'énergie que j'y mettais était l'exact miroir de ma conversation avec S. Lâcher prise n'a rien d'instinctif. C'est un apprentissage qui ne tient qu'à l'expérience de renoncements antérieurs. Ici, on a poussé, tiré, fait des plans, trouvé des solutions et on a beaucoup râlé contre ces salopes de vagues qui y avaient été vraiment trop fort le mercredi et qui ne se forçaient plus, maintenant, pour arracher le bateau à sa gangue de vase.
Et nous étions plusieurs, dans notre rage, à penser à S., là-bas.
Le samedi, à la seconde même où grâce à un bateau ami, celui de E. s'est remis à flotter sous nos cris de joie, S. nous a annoncé la mort de sa mère.
De ces deux sentiments, la joie et la peine, lequel a subtilement modifié l'autre? Je n'en sais rien.
Mais même une incroyante comme moi se plait à voir dans la simultanéïté de ces deux moments, le signe que cette dame a dénoué ses amarres au moment où la plus belle vague arrivait pour elle.
Pour S. Avec toute ma tendresse.
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