Je l'ai dit quelque part, je ne commente jamais ou presque, les dessins des enfants. Mais je les regarde, toujours, et souvent je souhaite que l'image qui, alors, se forme sans mot dans mon esprit, leur soit perceptible, tout comme l'émotion et l'admiration que j'éprouve.
J'ai revu J. Sa maman me l'avait amené, parce qu'il rêve en classe. Beaucoup.
Il n'y a que dans les rêves des adultes que ceux de l'enfance sont toujours enchantés. Les rêves de J. ne ressemblent pas à des rêveries, ces jeux de saute-moutons ensoleillés, quand la pensée des enfants sautille sur les paroles de l'adulte et franchit les gués sans y penser.
En fait, je ne crois pas que J. rêve vraiment.
Je pense qu'il s'absente. Au point qu'il m'a d'abord fallu vérifier que sa conscience elle-même ne le quittait pas, par éclats épileptiques.
J. s'absente, devant moi aussi. Il n'est pas dans ses yeux quand il me regarde. Mais parfois, quand il les baisse, il me sourit.
J'écoute la maman de J. Elle est bien d'accord avec les conclusions du neurologue qui pense que J. a besoin d'un psychologue.
Elle y pense depuis longtemps. Elle dit qu'elle aurait du le faire plutôt. Pour elle-même aussi, d'ailleurs peut-être.
Et puis, elle déroule devant moi une histoire terrifiante. La sienne. Saisissante au point que je m'empresse de fournir crayons et papier à J. qui se crispe et s'agite.
Et puis, peu à peu, à coté de l'histoire qui fait peur, il y a une autre histoire, faite du courage à toute petite voix de cette maman, cette ténacité à faire de la vie, du paisible autant que possible, l'absence de rancoeur, la sollicitude. Je dis quelques mots sur ce qui me semble avoir été un immense travail et aussi, je crois, sur le droit à se faire confiance.
J. déploie une activité que je n'avais pas encore vue. Et sous mes yeux, apparait un dessin que je trouve bouleversant. Il est coupé en deux. C'est un zoo. A droite, au crayon noir, une cage, avec des barreaux dans tous les sens et, dedans, un léopard impressionnant, dont on voit bien que ce n'est nullement du hasard s'il est à ce point enfermé. A gauche, simplement cerné par un cadre léger, une girafe, elle aussi très belle, très colorée, souriante, qui broute avec beaucoup de délicatesse le sommet d'un arbre vert. A voir ses magnifiques mamelles, c'est une bonne mère, qui donne envie d'être très grand et de voir les choses de haut.
Il va falloir sans doute un peu de temps pour donner des couleurs au léopard, et plus encore avant d'ouvrir sa cage. Mais J., comme sa mère, a des ressources insoupçonnées.
J'ai demandé à J. l'autorisation de garder ce dessin dans son dossier. J'ai reçu tout à la fois le regard, le sourire et le dessin, avec un grand naturel.
Bien sûr, on peut toujours se tromper. Mais il me semble que quand nous nous sommes dit au revoir, avec beaucoup de chaleur de part et d'autre, nous avions tous les trois le cou haut et dégagé.