"J'ai pas quatre bras...
-Mais pourquoi elle dit ça?
-Mais parce que c'est VRAI!"
In le graphique de Boscop, 1976
Trop près, trop loin. Dans l'emprise. A coté des besoins réels. Aveuglée par la nécessité de prendre soin. Etouffant désir de perfection.Croirait-on pas que j'y parle du métier de mère?
Non, je parle ici de la fonction de médecin, du moins telle qu'elle y transparaît dans le livre d'Elisabeth Badinter.
J'y suis, à plus d'un titre, logée dans le camp des réactionnaires.
Je vais tâcher, dans les jours et les semaines, de voir ce que j'en accepte et ce que j'en réfute.
Je vais tâcher aussi de ne pas me contenter du livre seul, mais d'aller aussi à l'écho des questions qu'il soulève et qui indéniablement sont une des réussites de ce livre.
Pas loin, à mes yeux d'être la seule, mais de grande valeur.
Car enfin, dans le mortifère étouffoir du sarkozisme, dans la régression généralisée à laquelle on assiste, un vent frais venant d'un temps où il était séant de débattre du sexe, du partage des tâches et d'une réussite de la vie qui ne se résumait à la possession d'une Roulex, c'est fichtrement bon à prendre.
C'est donc avec un certain enthousiasme, encore que mâtiné d'un peu de défiance, que j'ai fini par acheter le livre : « Le conflit, la femme et la mère » de la sus-citée.
Là, il a failli plusieurs fois me tomber des mains. Là où certaines de mes blogocopines l'ont trouvé mesuré, porteur d'un message ouvrant au femmes le libre choix, je l'ai trouvé, moi, souvent partial, voire vindicatif quant au fond et faible sur plusieurs points d'argumentation.
La messe sur le libre choix est assez rapidement dite : les écolos, les neurobiologistes, les allaitantes et les médecins y sont, en toute lettres, répertoriés sous la bannière de la Sainte Alliance des Réactionnaires.
L'ouvrage, qui de façon assez juste, pointe l'ambivalence des femmes vis à vis de la maternité, est lui même aux prises avec des tensions contradictoires, dont je ne suis pas sûre qu'elles soient toutes voulues. Il lui faut pointer l'aliénation des femmes sans les traiter ouvertement de gourdes. Exalter leur libre capacité à choisir tout en dénonçant les facteurs qui biaisent ce choix.
Cela donne un ton bancal qui tenterait de démontrer qu'une femme qui choisit de ne pas avoir d'enfant, ou de ne pas allaiter le ferait par résistance, librement, et que celles qui feraient les choix inverses le feraient par culpabilité.
Selon les chapitres, on trouvera, à la page 189 : «
une récente étude australienne montre à quel point les discours sur la maternité peuvent peser sur les femmes dans leurs choix maternels » et à la page 193: «
La décision de n'avoir pas d'enfant, ou la non décision d'en avoir un relève du privé et de l'intime. La plupart du temps, c'est le résultat d'un dialogue secret entre soi et soi, qui n' a que faire de la propagande. »
Elle n'est donc pas sûre que la propagande opère. Par contre, elle affirme qu'il y en a et que parmi les hérauts, il y a tous ceux qui tentent de comprendre les liens biologiques entre les mères et les enfants. Pardon, tous ceux qui déjà, pensent qu'il y en a sont déjà suspects d'être les sous-marins de l'opération "les mères à la maison".
Sur un plan stylistique, à peu près tous les postulats de l'Académie de Médecine sont, sinon mis au conditionnel, du moins présentés avec ironie. Sur l'allaitement, cela a été abondamment commenté ailleurs.
Mais elle vise aussi la position des médecins sur l'alcool et le tabac durant la grossesse. Pour le coup, elle le fait presque incidemment. Je n'ai pas réussi à déterminer si elle considérait réellement comme un progrès de la cause des femmes de pouvoir fumer et boire pendant la gestation ou si elle se servait simplement de points sensibles pour pouvoir disqualifier l'ensemble du discours de ces médecins si culpabilisants.
Je me félicite qu'elle ne soit pas allée jusqu'à l'ectasy-si-je-veux et m'étonne un peu qu'il ne soit pas fait mention du diktat, pour moi le plus sujet à caution qui est la prise de poids pendant la grossesse. Pour le coup, voilà un impératif bien plus lié à l'image du corps qu'à la santé, curieusement absent de la démonstration.
Il est vrai que depuis « l'art d' accommoder les bébés », une certaine prudence est de mise dans les conseils que l'on peut donner. Et qu'il est bon, pour le médecin, de se demander, dans ce qu'il énonce, quel est l'élément le plus vraisemblablement parti pour être proclamé ânerie du siècle dans 50 ans.
Mais ce qui progresse, à coté de la pédiatrie, c'est la Santé Publique, les conférences de consensus, l'Evidence Based Medecine.
Nous en savons un peu plus sur nos incertitudes.
Et je m'étonne que quelqu'un qui fasse profession de philosophe et de psychanalyste se montre si peu... disons le mot, si peu adulte dans sa façon d'appréhender le rôle de la médecine.
Elle oscille entre la réfutation pure et simple, la disqualification caricaturale et le procès en culpabilisation. Au fond, le médecin ne trouve grâce à ses yeux, que quand il s'agit de dénoncer une plus grande obscurantiste encore, qui est la mère écolo qui ne croit pas à la pharmacopée industrielle. En dehors de cela, ils ont tout faux, qu'ils s'inquiètent des effets des pesticides sur la fertilité, qu'ils parlent d'allaitement, qu'ils tentent de chercher les facteurs influant une grossesse.
Or voyez-vous, les médecins, comme les parents, ne sauraient être parfaits.
Qu'attend-on d'un médecin suffisamment bon?
Que nous tâchions, inlassablement, au prix d'erreurs, de contradictions, de questions sans cesse réorientées, de déterminer les facteurs qui pèsent sur la liberté de chacun-car la maladie est avant tout, une perte de liberté, et de permettre à ceux qui le voudraient, de s'en affranchir.
Si nous conseillons, actuellement, à toute femme enceinte, de s'abstenir d'alcool pendant la grossesse, c'est parce que le syndrome alcoolo-foetal est une réalité et que nous sommes incapables, pour l'instant, de savoir où et comment il frappe. Elle n'en a jamais rencontré? Moi, si. Et je peux vous dire que c'est pas de la tarte.
Une partie de notre travail consiste à baliser le champ des risques. L'autre consiste à permettre à un individu de s'y situer. Si nous ne le faisons pas, qui le fera? Qu'on le veuille ou non, c'est notre rôle, notre partition. C'est pour dire ceci qu'on nous forme, qu'on nous paye, qu'on vient nous voir. Une grossesse sans alcool, sans tabac, sans toxiques, avec le moins possible de médicaments, bien entendu que c'est mieux.
Et en tout état de cause, pour l'instant, c'est bien plus prouvé, avec bien plus d'études, que l'impact de l'allaitement sur le travail des femmes.
Madame Badinter attend-elle de nous que nous nous arrêtions à l'état actuel de nos connaissances? Que nous cessions de chercher? Que nous taisions ce qui risque de désespérer aussi bien Billancourt que Neuilly?
Il y a de mauvaises façons de dire des choses désagréables à entendre, mais il n'y en a pas de bonnes.
Elle vit les préconisations récentes sur le tabac et l'alcool comme un retour de vent mauvais-mais songe-t-elle que leur consommation de masse chez la femme est extrêmement récente? Peut-elle imaginer que l'impact de santé soit différent lorsqu'on passe de 10 à 30% de fumeuses en quarante ans?
Si j'en crois sa date de naissance, elle a probablement fait ses enfants à l'aube des années 70. Qu'en ces temps-là, nul ne soit préoccupé du temps nécessaire pour dégrader une couche-culotte, ni ne se soit posé la question de la différence de poids des nourrissons nés de mère fumeuse, que la courbe des obésités n'ait pas encore explosé au nez des pédiatres, ni les diabètes juvéniles, je le conçois parfaitement.
Et je conçois également qu'on puisse avoir la nostalgie d'un temps où les plus en avance pouvaient jouir sans entrave. « Comme sont loin les années 70 où l'on pouvait vivre sa grossesse avec insouciance et légèreté! » écrit-elle.
Et je la comprends bien. C'est tellement plus facile, parfois, de ne pas savoir.
Mais il faut faire attention à la nostalgie. Elle a vite fait de vous pousser à vouloir immobiliser le temps, les connaissances, les mises en perspective.
Bref, elle a vite fait, sous couvert de vous rendre un paradis perdu, de vous rendre réactionnaire.