J'aime bien que S. ne soit pas gentille, et ne m'oblige pas non plus à l'être. Le souffle est resté court malgré la greffe, alors la parole, mesurée, est brève. Elle a ce qu'on trouve plus volontiers chez les gens très âgés, ce minuscule laps de temps avant la réponse. Ce temps infime qui considère et pèse la question.
L'oeil, lui, est rapide dans sa sagacité, et parfois le sourcil très légèrement levé, supplée la voix, rejette sans appel la phrase de commisération, la banalité usagée, dans des limbes où règne moins de dédain qu'une très ancienne fatigue.
A vingt ans passés, combien de fois, à combien de passants, l'a-t-elle racontée, cette vie si souvent suspendue à si peu. Entre la répéter sans cesse, et la dire une fois pour toutes, deux écueils tout aussi blessants d'indifférence, nous cherchons une voie médiane.
Il faut apprendre à ne pas tout savoir.
Nous parlons de ce lieu dans lequel elle vit 5 jours sur 7, de l'endroit le plus favorable pour faire une injection triquotidienne, de nombre de marches, de bouteilles d'eau stratégiquement disposées.
Il est surprenant que cette jeune femme puisse avoir besoin de moi pour des choses aussi triviales. Mais ce lieu là, justement, est si corseté, que le simple fait de poser une bouteille d'eau sur un bureau suffit à déclencher une bruissante révolution...
Même majeure, même rompue à l'héroisme quotidien de se lever chaque matin, même après avoir pesé sa vie à quitte ou double, S. reste une élève. Pour ces enjeux de paille, ces minimes déplacements, qui, dans un paysage moins ritualisé, passeraient inaperçus, pour faire pipi quand elle en a besoin, sa parole ne vaut que si elle est doublée de la mienne.
11.9.06
8.9.06
On peut pas se plaindre.
J'ai raté mon quart d'heure warholien.
Qui d'ailleurs n'aurait été qu'une minute et demie au 20h d'une grande chaîne que je ne regarde plus depuis des lustres.
Mais c'est quand même fort triste. Un ci-devant journaliste m'avait démarché, pour me filmer dans l'exercice de mes fonctions, et pour une fois, semblait décidé à évoquer le scandale permanent de notre manque de moyens.
Tout était prêt, ma jeune patiente de 11h était d'accord pour que nous soyons filmées quelques minutes, j'avais programmé le nettoyage de ma voiture, de peur que le journaliste ne décide de changer de scoop.
Mercredi après midi, Moyen Chef m'appelle pour me délivrer le message suivant:
"Ne parle que des MISSIONS, et surtout pas des moyens!"
Ayant manqué l'option faux-derche au cours de mes études, je lui ai donc répondu que je ne me voyais pas continuer à jouer des valses pendant le naufrage.
Et puis, j'ai une irrépressible aversion envers le terme de "missions". On peut à la rigueur envoyer des missionnaires vêtus de lin blanc et de probité candide auprès d'ignorantes populations. Mais un fonctionnaire avec des fonctions, c'est embêtant, parce que cela a des coûts de fonctionnement.
Alors, la veille, soit le soir à 19h, Grand Chef a dit non.
Prenez en une autre.
Des fois qu'on s'apercevrait qu'elle gère 7000 dossiers sans secrétaire, sans portable, sans ordinateur, sans répondeur, et que ses frais de déplacement pour couvrir 40 établissements sont épuisés en Mars.
Encore serait-elle souffreteuse, empruntée, prompte à s'effacer, le public pourrait estimer que c'est suffisant pour un mi -temps thérapeutique.
Hélas, l'effrontée rit souvent, aime ce qu'elle fait, ne recule ni devant le calembour, ni devant la métaphore filée.
Alors, ça va comment, chez vous?
Oh, on peut pas se plaindre.
Mais de nous trois, grand, moyen chef et moi, c'est sûrement moi qui me suis endormie avec le plus grand sentiment d'avoir fait ce que j'avais à faire. Parce qu'à 11h le lendemain, je rencontrais S. avec sa mucoviscidose, son diabète, sa greffe et son foutu caractère pour faire tenir le tout ensemble.
Elle peut pas se plaindre.
C'est pour le faire à sa place que je suis payée.
Qui d'ailleurs n'aurait été qu'une minute et demie au 20h d'une grande chaîne que je ne regarde plus depuis des lustres.
Mais c'est quand même fort triste. Un ci-devant journaliste m'avait démarché, pour me filmer dans l'exercice de mes fonctions, et pour une fois, semblait décidé à évoquer le scandale permanent de notre manque de moyens.
Tout était prêt, ma jeune patiente de 11h était d'accord pour que nous soyons filmées quelques minutes, j'avais programmé le nettoyage de ma voiture, de peur que le journaliste ne décide de changer de scoop.
Mercredi après midi, Moyen Chef m'appelle pour me délivrer le message suivant:
"Ne parle que des MISSIONS, et surtout pas des moyens!"
Ayant manqué l'option faux-derche au cours de mes études, je lui ai donc répondu que je ne me voyais pas continuer à jouer des valses pendant le naufrage.
Et puis, j'ai une irrépressible aversion envers le terme de "missions". On peut à la rigueur envoyer des missionnaires vêtus de lin blanc et de probité candide auprès d'ignorantes populations. Mais un fonctionnaire avec des fonctions, c'est embêtant, parce que cela a des coûts de fonctionnement.
Alors, la veille, soit le soir à 19h, Grand Chef a dit non.
Prenez en une autre.
Des fois qu'on s'apercevrait qu'elle gère 7000 dossiers sans secrétaire, sans portable, sans ordinateur, sans répondeur, et que ses frais de déplacement pour couvrir 40 établissements sont épuisés en Mars.
Encore serait-elle souffreteuse, empruntée, prompte à s'effacer, le public pourrait estimer que c'est suffisant pour un mi -temps thérapeutique.
Hélas, l'effrontée rit souvent, aime ce qu'elle fait, ne recule ni devant le calembour, ni devant la métaphore filée.
Alors, ça va comment, chez vous?
Oh, on peut pas se plaindre.
Mais de nous trois, grand, moyen chef et moi, c'est sûrement moi qui me suis endormie avec le plus grand sentiment d'avoir fait ce que j'avais à faire. Parce qu'à 11h le lendemain, je rencontrais S. avec sa mucoviscidose, son diabète, sa greffe et son foutu caractère pour faire tenir le tout ensemble.
Elle peut pas se plaindre.
C'est pour le faire à sa place que je suis payée.
6.9.06
Il y a deux sortes de genies
Les génies doués, et les génies pas doués.
Appartenant à la seconde, j'avais mis à la fin du post précedent un lien qui ne marchait pas. Maintenant ça marche.
Plaisir des yeux m'sieurs dames?
c'est toujours LA;
Voui, j'insiste un peu.
Appartenant à la seconde, j'avais mis à la fin du post précedent un lien qui ne marchait pas. Maintenant ça marche.
Plaisir des yeux m'sieurs dames?
c'est toujours LA;
Voui, j'insiste un peu.
5.9.06
Et vous, vous faites quoi dans la vie?
Je fais un métier qui a failli exister.
C'est une sensation un peu étrange. Je me dis parfois qu'il existera peut-être, qu'il a même brièvement existé. Voyons... ce devait être dans les années quatre-vingt dix, dans un temps archaïque, où l'on parlait de mettre l'enfant au centre.
L'enfant au centre, et nous dans les interstices.
On était au carrefour, entre l'intime et le public, entre le collectif et l'inviduel. Carrefour le plus souvent inconfortable, traversé qu'il était, de courants contraires, balayé parfois d'un trait de plume à la rubrique "crédits".
Mais quel merveilleux, mouvant, vivant poste d'observation! Pratiquement tous, nous y sommes venus par hasard. Je reconnais tout de suite ceux qui sont restés par passion du spectacle sans cesse renouvelé de l'enfance en mouvement.
Alors, du carrefour, nous avons voulu faire, timidement, une place. Vous savez comment cela se passe. Le premier geste, c'est d'y amener un banc, et de s'y asseoir. D'inviter les passants à voir le paysage, de ce coté là du réel.
On était taquins , parfois dirait Demetan ici. On leur demandait si créer un lieu fait uniquement pour les bébés nés à terme, à 3500g, indemnes, au mois de mai, et utilisateurs préférentiels de leur hémisphère gauche, si vraiment cela était une valeur républicaine.
Après, on essayait d'inventer un espace avec plus de moelleux-et certains nous regardaient d'un air bizarre devant la pauvreté insigne de nos propres possessions.
Nous n'avons pas, bien sûr, convaincu tout le monde. Mais certains sont revenus régulièrement nous voir. Il commençait à y avoir des discussions passionnantes à cet endroit là.
Va savoir pourquoi tout cela s'est effrité...
Pourquoi, je ne saurais te le dire. Mais comment, oui je peux. Si cela t'interesse, c'est LA.
C'est une sensation un peu étrange. Je me dis parfois qu'il existera peut-être, qu'il a même brièvement existé. Voyons... ce devait être dans les années quatre-vingt dix, dans un temps archaïque, où l'on parlait de mettre l'enfant au centre.
L'enfant au centre, et nous dans les interstices.
On était au carrefour, entre l'intime et le public, entre le collectif et l'inviduel. Carrefour le plus souvent inconfortable, traversé qu'il était, de courants contraires, balayé parfois d'un trait de plume à la rubrique "crédits".
Alors, du carrefour, nous avons voulu faire, timidement, une place. Vous savez comment cela se passe. Le premier geste, c'est d'y amener un banc, et de s'y asseoir. D'inviter les passants à voir le paysage, de ce coté là du réel.
On était taquins , parfois dirait Demetan ici. On leur demandait si créer un lieu fait uniquement pour les bébés nés à terme, à 3500g, indemnes, au mois de mai, et utilisateurs préférentiels de leur hémisphère gauche, si vraiment cela était une valeur républicaine.
Après, on essayait d'inventer un espace avec plus de moelleux-et certains nous regardaient d'un air bizarre devant la pauvreté insigne de nos propres possessions.
Nous n'avons pas, bien sûr, convaincu tout le monde. Mais certains sont revenus régulièrement nous voir. Il commençait à y avoir des discussions passionnantes à cet endroit là.
Va savoir pourquoi tout cela s'est effrité...
Pourquoi, je ne saurais te le dire. Mais comment, oui je peux. Si cela t'interesse, c'est LA.
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