19.8.12

Amarres

Ici, il y avait ce bateau dont l'amarre avait lâché et qui, privé de tout moyen de défense contre la mer, pitoyablement couché, embarquait vagues et goëmons.
Là-bas, il y avait cette vieille dame qui doucement, paisiblement,  se désarrimait, sans drame, sans s'en scandaliser le moins du monde, attentive,  malgré la douleur, à saluer l'affection des siens.

Pas d'autres liens entre ces deux faits que de toucher des gens que nous aimons.

Nous avions longuement parlé, avec S. de ce moment si questionnant pour nous-même, où nous savons qu'il faut lâcher prise, où il n'est plus question de bataille mais de veillée, où la moindre colère, la moindre rancune contre le sort serait un obstacle à la tendresse qui doit là, couler à flot continu. Nous savions aussi que ce moment-là, s'il vient, n'appartient qu'à chacun, dans un temps, d'une façon qui lui est propre.
S. avait choisi d'accueillir sa mère chez elle, parce  que leur histoire, et au delà, l'histoire de son village était comme cela.
Et c'était bien d'entendre son intime conviction d'avoir fait ce qu'elle et sa mère voulaient.

Ici, la veillée allait au rythme de la marée et de ses coups de boutoir dont il fallait protéger le bateau.
Pas d'autre lien.
Et pourtant, dans cette bataille qui dura quatre jours, je savais que l'énergie que j'y mettais était l'exact miroir de ma conversation avec S. Lâcher prise n'a rien d'instinctif. C'est un apprentissage qui ne tient qu'à l'expérience de renoncements antérieurs. Ici, on a poussé, tiré, fait des plans, trouvé des solutions et on a beaucoup râlé contre ces salopes de vagues qui y avaient été vraiment trop fort le mercredi et qui ne se forçaient plus, maintenant, pour arracher le bateau à sa gangue de vase.
Et nous étions plusieurs, dans notre rage, à penser à S., là-bas.

Le samedi, à la seconde même où grâce à un bateau ami, celui de E. s'est remis à flotter sous nos cris de joie, S. nous a annoncé la mort de sa mère.

De ces deux sentiments, la joie et la peine, lequel a subtilement modifié l'autre? Je n'en sais rien.
Mais même une incroyante comme moi se plait à voir dans la simultanéïté de ces deux moments, le signe que cette dame a dénoué ses amarres au moment où la plus belle vague arrivait pour elle.


Pour S. Avec toute ma tendresse.

4 commentaires:

K a dit…

billet absolument magnifique. Je me permets : bises.

ada a dit…

Je l'emrasse et vous embrasse aussi tres fort. Merci pour ces mots.

Yves a dit…

On peut penser également qu'avec ces mots que tu lui adresses, cette vieille dame a connu un passage plus serein.

Oxygène a dit…

Superbe ! A la hauteur de cette déferlante.