Pas rétive,non : j'ai beaucoup affecté de l'être pour masquer une véritable impossibilité à tenir longtemps un canevas à l'avance établi.
Je m'y empêtre, la langue s'alourdit, la poussière se dépose, les cartes se perdent.
Il faut et je soupire. Il faudrait, le remord pointe et je prend le premier chemin traversier.
VOYAGE

Voilà que ce récit de voyage s'étiole, alors même que le voyage lui même continue son sillage enfoui, qu'il en remonte encore au fil des semaines, d'étranges fleurs, figures libres d'un souvenir en train de faire mémoire, en s'agrégeant comme naît l'atoll, de proche en proche, de loin en loin.
Peut-être aussi que ce qu'il y a à partager de ce voyage, c'est qu'on peut vivre très profondément qu'il n'y ait rien à en raconter.
Ou bien par bribes, comme ça, échappées du bistrot de la cale, tard le soir.
Oui, oui, en regardant loin derrière la glace du comptoir...
Rien à raconter, parce que rien, jamais, ne m'a imposé de me trouver un jour de juillet septentrional, dans ce port démesuré et presque vide. Seuls quelques ilots marquaient quelque activité. Là où la vie était, elle était volontiers frénétique, mais elle ne suffisait pas à éteindre le silence des entrepôts déserts.
J'ai croisé du sel, du bois, des hélices de navires qui avaient l'air de jouer à la guerre des étoiles. Des cuves à gaz flambant neuves partiraient un jour pour Abu Dhabi.
Les mêmes, rouillées jusqu'à l'os, iront à Karachi.
Il y a décidément plusieurs trous du cul du monde dans le monde.

L'un d'eux était ce port de Gävle, où j'ai voulu prendre la photo la plus terne de toute mon existence, parce qu'il n'y avait rien à faire ici et où j'ai dansé dans la caverne de sel parce que je m'y suis sentie légère et drôle comme jamais.

FAMILLE
"Où est-on mieux qu'au sein de sa famille?"
"Partout ailleurs!" s'esclaffait ma grand-mère qui préférait vraisemblablement Bazin au bassinant Marmontel.
Longtemps, j'ai fui les réunions de famille. Figures explosées, sauts périlleux dans le vide, juges impitoyables, notes truquées. J'ai attendu de prendre de l'âge, pour regarder avec plus d'humour, l'enfant que je suis encore, tout à tour reprendre et tenter de se défausser des vieilles marques, des antiennes connues, des bastions trop souvent défendus. N'en finit-on jamais avec le besoin de réparation?
Allons, on aménage, on desserre quand même les tenailles rouillés. On ne s'offusque presque plus et quand on ne tient plus le trop grand bruit, on s'en va.
Et puis, au bout du bout, ne viennent finalement plus que ceux qu'on aime, d'une tendresse qui n'a plus rien à voir avec les obligés.
Cette année fut belle. Sans doute parce que la figure imposée, c'était justement de s'inventer d'autres rôles. Durant notre familiale, épisodique et aléatoire "semaine de création", nous avons servi des textes que nous aimons, nous nous sommes déplacés, décentrés, pour dire mieux et nous y avons gagné chacun une part supplémentaire de liberté. Celle-ci est venue sans ses enfants, lire une vieille lettre ensevelie dans une armoire et dans l'évitement du choix, celui-là a raconté la triste sardonique histoire d'un employé modèle, Diogène a joué du chien à poil dur et j'ai joué avec un couteau sans spécialité. Il fut aussi question d'un mal aimé, des hommes que j'aime, d'un chant général, de Salvador Puig Antich et de la voix déchirante de Benjamin Fondane et d'autres beaux mots comme des vieux potes ou de fulgurantes rencontres.
C'était vraiment bien.
Ce qui tendrait à prouver qu'avec un peu de poésie, la vie, c'est pareil, mais en mieux.
TRAVAIL:
Ils vont me demander de parler de la grippe. Je crois même qu'ils vont me demander de montrer comme les hôtesses de l'air, comment on met et on enlève un masque chirurgical.
Je vais essayer de ne pas rire.
