J'ai raté mon quart d'heure warholien.
Qui d'ailleurs n'aurait été qu'une minute et demie au 20h d'une grande chaîne que je ne regarde plus depuis des lustres.
Mais c'est quand même fort triste. Un ci-devant journaliste m'avait démarché, pour me filmer dans l'exercice de mes fonctions, et pour une fois, semblait décidé à évoquer le scandale permanent de notre manque de moyens.
Tout était prêt, ma jeune patiente de 11h était d'accord pour que nous soyons filmées quelques minutes, j'avais programmé le nettoyage de ma voiture, de peur que le journaliste ne décide de changer de scoop.
Mercredi après midi, Moyen Chef m'appelle pour me délivrer le message suivant:
"Ne parle que des MISSIONS, et surtout pas des moyens!"
Ayant manqué l'option faux-derche au cours de mes études, je lui ai donc répondu que je ne me voyais pas continuer à jouer des valses pendant le naufrage.
Et puis, j'ai une irrépressible aversion envers le terme de "missions". On peut à la rigueur envoyer des missionnaires vêtus de lin blanc et de probité candide auprès d'ignorantes populations. Mais un fonctionnaire avec des fonctions, c'est embêtant, parce que cela a des coûts de fonctionnement.
Alors, la veille, soit le soir à 19h, Grand Chef a dit non.
Prenez en une autre.
Des fois qu'on s'apercevrait qu'elle gère 7000 dossiers sans secrétaire, sans portable, sans ordinateur, sans répondeur, et que ses frais de déplacement pour couvrir 40 établissements sont épuisés en Mars.
Encore serait-elle souffreteuse, empruntée, prompte à s'effacer, le public pourrait estimer que c'est suffisant pour un mi -temps thérapeutique.
Hélas, l'effrontée rit souvent, aime ce qu'elle fait, ne recule ni devant le calembour, ni devant la métaphore filée.
Alors, ça va comment, chez vous?
Oh, on peut pas se plaindre.
Mais de nous trois, grand, moyen chef et moi, c'est sûrement moi qui me suis endormie avec le plus grand sentiment d'avoir fait ce que j'avais à faire. Parce qu'à 11h le lendemain, je rencontrais S. avec sa mucoviscidose, son diabète, sa greffe et son foutu caractère pour faire tenir le tout ensemble.
Elle peut pas se plaindre.
C'est pour le faire à sa place que je suis payée.
4 commentaires:
J'aimerais me convaincre que nos administrateurs si politisés ont mauvaise conscience. Mais je crains que l'anesthésie ne soit pas locale.
Je partage, malheureusement le diagnostic de Zeugme!
je ne comprends pas que le grand chef ait pu empêcher le reportage, dans le temps que j'étais à la télé ce genre de pression me poussait à dénoncer encore plus fort.
Zeugme et still: un optimiste , c'est quelqu'un qui pense qu'on vit dans le meilleurs des monde. Un pessimiste, c'est quelqu'un qui pense, qu'hélas, c'est vrai.
Moukmouk: sans faire injure à ton âge cannonique, c'était probablement avant l'avènement du Tsar Nicolas 1er?
Enregistrer un commentaire