11.9.06

Enjeux de paille

J'aime bien que S. ne soit pas gentille, et ne m'oblige pas non plus à l'être. Le souffle est resté court malgré la greffe, alors la parole, mesurée, est brève. Elle a ce qu'on trouve plus volontiers chez les gens très âgés, ce minuscule laps de temps avant la réponse. Ce temps infime qui considère et pèse la question.
L'oeil, lui, est rapide dans sa sagacité, et parfois le sourcil très légèrement levé, supplée la voix, rejette sans appel la phrase de commisération, la banalité usagée, dans des limbes où règne moins de dédain qu'une très ancienne fatigue.
A vingt ans passés, combien de fois, à combien de passants, l'a-t-elle racontée, cette vie si souvent suspendue à si peu. Entre la répéter sans cesse, et la dire une fois pour toutes, deux écueils tout aussi blessants d'indifférence, nous cherchons une voie médiane.
Il faut apprendre à ne pas tout savoir.
Nous parlons de ce lieu dans lequel elle vit 5 jours sur 7, de l'endroit le plus favorable pour faire une injection triquotidienne, de nombre de marches, de bouteilles d'eau stratégiquement disposées.
Il est surprenant que cette jeune femme puisse avoir besoin de moi pour des choses aussi triviales. Mais ce lieu là, justement, est si corseté, que le simple fait de poser une bouteille d'eau sur un bureau suffit à déclencher une bruissante révolution...
Même majeure, même rompue à l'héroisme quotidien de se lever chaque matin, même après avoir pesé sa vie à quitte ou double, S. reste une élève. Pour ces enjeux de paille, ces minimes déplacements, qui, dans un paysage moins ritualisé, passeraient inaperçus, pour faire pipi quand elle en a besoin, sa parole ne vaut que si elle est doublée de la mienne.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Parfois il (m')est difficile de comprendre le sens des choses, de leurs raisons. Au moins, elle vit.

Anonyme a dit…

En te lisant, insistait le titre d'un bouquin déjà un peu ancien...Les révolutions minuscules... Un effet de l'âge, peut-être... ce sont les seules qui me semblent tenir dans la durée....Mais ça ne veut pas dire qu'il faut lâcher sur le autres fronts bien sûr... :-)

Anonyme a dit…

Parfois ceux qui cotoie la misère finisse par s'y habituer. Le jounaliste disant à son caméraman, elle n'a été que violée pas battue, on ne passera pas au téléjournal.

Anonyme a dit…

C'est bel et bien dit.

Super Mouton a dit…

Et est-ce qu'elle aime les cornichons à la crème glacée, elle ?

Tellinestory a dit…

Juste la purée de sardine au chocolat.
Mais moi , j'aime les cornichons à la crème glacée. Qu'est ce que vous avez comme parfum? zeugma et apocope?