4.5.08
objets inanimés
Je regarde mon amie F. , sa garde rapprochée d'objets qui la désignent, ou bien la masquent, c'est selon, et je songe, avec des sentiments mêlés, à la façon fréquente et subreptice avec laquelle certaines choses me quittent.
Irrémédiablement, sans secours aucun, les parapluies désertent, les montres s'esquivent, les bijoux scintillent une dernière fois avant de glisser dans les replis de ma mémoire.
Et je ne parle pas des coûteux objets professionnels, toises vagabondes, tests optiques redevenus illusions, agenda surveillé comme un récidiviste de l'évasion désespérante.
Pour les stylos, c'est moins grave : je connais nombre de leurs sentiers souterrains, et en cas de manque, il me suffirait de saisir délicatement ma voiture entre le pouce et l'index et de la secouer comme on bat un tapis, pour faire émerger une bonne demi-centaine d'exemplaires de toutes les couleurs.
Le téléphone a l'avantage de répondre quand on l'appelle, pour peu que l'homme de la maison ne soit pas absent trop longtemps. Car c'est à lui qu'est dévolue la sollicitude envers cet objet qui , sans lui, mourrait tous les deux jours après une courte plainte que je n'entends jamais.
Je suis pourtant devenue infiniment moins désordonnée qu'avant, mais rien n'y fait : je n'aime pas les objets prothétiques et ils me le rendent.
D'où vient alors, que certains d'entre eux, qui ne brillent ni par leur utilité, ni par leur charme, me suivent d'année en année, alors que cent déménagements, accès de frénésie rangeuse et éliminatrice, voyages propices aux abandons, auraient dû les faire disparaître depuis des lunes?
Je connais, dans mon placard, certaine paire de chaussettes d'un brun ayant viré vers un indéfinissable taupe, rêches et sans grâce, des chaussettes obtuses, pour tout dire, fidèles et sans humour, n'ayant pour elles que d'être les dernières, quand toutes les autres sont au sale.
Soupirant, je les regarde me dire : "il te reste encore nous..."
Je me dis, bien loin de mon amie F. qui n'aime les objets que dans leur premier éclat choisi avec une exigeante discipline, que ces chaussette là ont gagné, à force de patience obstinée, la légitimité borgne qu'on accorde à certain chanteur médiocre mais endurant, ou à certains hommes politiques, véreux, mais infatigables.
C'est pourquoi, bien que guettant l'usure définitive, je viens, presque superstitieusement, de réunir en paire, sous le sourcil légèrement offusqué de F. , ces étranges pénates, moches et coriaces.
Mais je les préviens sourdement que l'humilité leur est de rigueur. Qu'elles se croient indispensables, qu'elles se mettent à se pousser du col et à se figurer qu'elles sont pour toujours les Elues de ma garde-robe, et je pourrais bien être radicale.
C'est moi qui décide, non mais.
Edit, spécial Marianne:
boomp3.com
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18 commentaires:
Moi aussi ça me questionne ce rapport aux objets. Moi qui, tu le sais, parviens à jeter et ne pas acheter d'objets avec grand naturel (seulement depuis que je suis en ménage ?).
Sinon une paire de tongs orange oubliés t'attendent chez nous ;-)
Billet délecté avec la gourmandise d'une grande habituée. Combien de stylos chics, de règles, de gommes et
de paires de babouches colorées ai je perdus ?
C'est vrai ils ont une âme ces objets tu le sais bien ; surtout ceux qui nous suivent fidèlement sans rien réclamer. Une présence indéfectible qui mérite notre affection quand même...
Tu tricotes vraiment très joliment.
La comparaison chaussettes hommes politiques ou chanteurs tenaces , il fallait oser .Rien de plus vrai que de secouer la voiture pour retrouver les stylos quand enfin sur le parking complet celle ci daigne faire le clin d'œil de reconnaissance après avoir gentiment rigolée des pressions de la clef devant des jumelles indifférentes .
comme vous racontez bien mes rapports avec eux
Ils ont donc une âme...
@Ada: j'ai même oublié que je les ai oubliées...Ma foi, tu n'as plus qu'a les glisser dans un sac et go west!
@Oxygène :
O combien de babouches, combien de pyj de laine,
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines
Dans ce morne horizon se sont évanouis! ...
@Fauvette: oui, oui, mais tu sais, elles sont VRAIMENT moches!
@Myrtille: ah, écrire au point mousse, quelque chose qui tienne un peu chaud...
@Marianne: chez le politicien, c'est plutôt la veste qui est inusable. Et tenter d'ouvrir la voiture des autres?Oui, je fais aussi. Tiens, je te mets une bande son en additif, rien que pour toi.
@Bridgetoun: et chez vous, c'est quoi, l'injetable? vieille chemise? pot fêlé?
@Tiphaine: en ce qui concerne les dites chaussettes, ce serait: "objets inanimés, avez-vous une trame?"
Ben non. Aujourd'hui justement je l'ai secouée ma voiture. Pas les moindres stylo, plume d'oie, craie, bois brûlé, calame... pour noter la petite idée que je ne voulais pas perdre, là, sur un parking.
@Yves: tssstsss. Vraiment trop propre, mon cher ami. Si vous étiez comme moi, votre index, à peine humide, aurait suffit pour noter votre idée, sur la carosserie, tout simplement...
Je préfère tes chaussettes miraculées à certains hommes politiques, même s'ils se comportent comme des savates.
mal de crâne ...peux pas réfléchir ce matin , bisous ....
Merci Anita , plus l'âge arrive plus plus la situation ressemble à la chanson de ce regretté Nino Ferrer,enfin l'âge est une excuse j'ai du toujours être ainsi .
Le stylo dans la voiture … J'en ai un et en lisant cette note je pensais à lui … Cadeau d'un coiffeur pour les étrennes, c'était quand … Celui de la campagne, l'ancienne maison, avant que je ne sois … Eh bien alors, ça fait 1987, ah, ben non, pour Noël, donc 1986 ! Il écrit toujours aussi bien !
Moi, ce sont les stylos rouges qui s'éclipsent pour mieux réapparaître dans une poche.
Bon dimanche !
Une chanson pour moi aussi, ça! Salut bien, Anita :)
joli joli billet. et je préfère tes chaussettes aux objets trop neufs qui n'ont pas d'histoire.
Très beau billet. Toujours autant de plaisir à te lire.
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