27.5.07

c'est çui qui dit qui y est.


J'ai beaucoup de sympathie pour D. Ou plus exactement, je suis très sensible au charme de D. et profondément séduite par la riche personnalité qui émane de sa mère, Mme I.

D. est un jeune homme né avec une agénésie du corps calleux, cette structure qui, pour faire grossier, gère les transferts d'informations entre les deux hémisphères. Son absence entraîne des difficultés variées dans certaines programmations, et donc, assez fréquemment des troubles des apprentissages.

Mme I., est une grande femme élégante, assez classique dans son habillement et dans ses propos, d'un abord calme et mesuré. Mais son sourire en coin quand elle raconte que sa première bataille fut de faire naître cet enfant malgré le regard réprobateur de la Faculté, mais tout ce qui se dégage de son attitude corporelle, sans tension aucune, quand elle énumère les batailles suivantes pour le scolariser, dénonce la révolutionnaire d'autant plus dangereuse qu'elle est masquée sous l'habitus de la bourgeoise claire.
Ironique , tenace, et pleine de compassion pour ceux qui, par crainte de l'aventure, passent à coté du bonheur qu'offre la présence de ce délicieux jeune homme. Et cette compassion n'est pas feinte. Depuis longtemps, elle entreprend de rassurer ses interlocuteurs. Plus la position hiérarchique de ceux-ci est élevée, plus elle se fait attentive, pleine de sollicitude pour la responsabilité qu'ils endossent, en acceptant son fils dans leur établissement.
Je considère comme une très grande preuve de confiance le bref regard, sans aucun commentaire, qu'elle m'a lancé à la fin de l'équipe éducative dès lors que les administratifs avaient tourné les talons.

Nous avions convenus qu'il serait bon que D rencontrât la conseillère d'orientation psychologue pour affiner le projet pédagogique. D. éprouve un certain nombre de difficultés pour des activités séquentielles, certains enchaînements logiques, simples et évidents pour d'autres lui apparaissent insurmontables. Ainsi réaliser une recette de cuisine demande à l'examinateur de lui rappeler les étapes une à une. On pouvait mettre ceci en relation avec une mémoire à court terme qu'un test de QI avait testée comme déficiente.

Or, Mme COP au cours de l'entretien, a décidé de lui faire repasser un nouveau test de QI, avec une batterie relativement récente, et qui semble plus fine que l'ancienne en ce qui concerne les processus cognitifs.
Il faut peut-être que je précise que le facteur temps est très important dans ces tests. On peut choisir de travailler en supprimant le chronomètre quand la lenteur paralyse le sujet, mais la cotation sera alors différente. Par ailleurs, il ne faut pas laisser quelqu'un trop longtemps en face d'une question non résolue. Tous ceux qui sont un jour resté en rade, le cerveau asséché, en grand désert blanc, devant une question de math savent combien un échec peut compromettre la suite des évènements. Si l'on se passe du chronomètre, il faut un bon sens clinique pour clore un item et passer au suivant, avant que le découragement ne s'installe.

Je pense que Mme COP, au vu de ce qu'on lui avait dit sur la mémoire à court terme, ne devait pas s'attendre à des miracles en ce qui concernait le test de répétition d'une suite de chiffres. Par quel miracle justement, cette femme s'est aperçue que la radicale immobilité et le silence de D. n'était pas de l'effondrement mais du travail?
Par une grande finesse d'observation sans doute. Et là où le professionnel précédent avait abrégé, elle a attendu. Un temps infini. Au point de me dire plus tard avec humour que c'est elle qui avait souffert- et que sans doute plus que D- pour se rappeler, non d'un chien où est-ce qu'on en est de ce truc là?
Parce qu'elle-même a accepté de pousser au delà de ses propres limites ils sont venus ces foutus chiffres. Et même en nombre impressionnant. Avec un effort immense, une ténacité sans faille, et sans doute un jeu de processus convoqués qui n'en valait guère la chandelle, mais ils sont venus.
Bref D. a pulvérisé les scores. Il est, si l'on supprime le facteur temps, dans les 2% de la population les plus performants.


Ce n'est rien, sans doute. Cela ne changera rien au destin de D., ne modifiera rien au regard chaleureux et perspicace que Mme I. porte sur son fils.
Pour moi, cela valide juste la demande que je fais régulièrement aux enseignants, de laisser du temps à certains élèves, en leur rappelant que même à leur imprimante, ils permettent de choisir entre rapidité et performance.
Pour Mme COP, cela valide la nécessité de ne pratiquer ces tests qu'en présence d'un observateur formé à autre chose qu'à enregistrer des réponses binaires.
Mais cela ne suffit pas à expliquer la sorte d'allégresse qui circulait entre Mme I., Mme COP et moi, nettement perceptible sous le formalisme de nos rapports.

Si ténu que soit le déplacement induit par cette découverte, il nous a fait l'effet d'une note bleue, d'un ajustement minime, mais qui tout d'un coup, permet de déverrouiller une porte pesante, l'effet d'une harmonie restaurée.
Une joie d'ébéniste.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Je partage ta joie, là tout doucement devant mon écran, buvant lentement mon thé vert...
Merci.

Anonyme a dit…

Les alchimistes le disaient déjà : Aucun plomb n'est égal, mais tous peuvent se transformer en or, c'est juste une question de temps et d'énergie.

Tellinestory a dit…

@ fauvette: le thé est bu depuis plusieurs heures... J'espère qu'il reste quelque chose de la joie.
@Martin: ...marche pas pour les culs de plomb!

Valérie de Haute Savoie a dit…

oui, comme Fauvette je souris et perçois cette joie calme.

Anonyme a dit…

Anita, j'ai une âme d'artisan ... alors j'ai particulièrement apprécié votre "joie d'ébéniste" et votre dernier paragraphe ...
le reste aussi, bien sûr, mais à notre époque, le temps est ce qu'on laisse le moins à.... tout ....