24.8.12

D'une expérience d'un ancien chagrin, toujours pour S.

Dans un premier temps, on cherche à le surmonter, parce que qu'on croit que le chagrin est un adversaire. Et puis on s'aperçoit un jour que c'est, malgré son caractère désagréablement humide et sa façon de vous foncer dessus sans crier gare, un drôle d'allié. Dans cette obligatoire réorganisation du monde à laquelle le deuil vous assigne, on n'est pas trop, du chagrin et de nous, pour s'y mettre.
Oui, il faut faire sans l'autre que l'on a aimé et cet impératif est une douleur nue.
Il n'y a pas d'autre remède à cette douleur que le chagrin, sa patience, son inaltérable capacité à ramasser dans le chaos, ces toutes petites choses auxquelles on ne savait pas tenir. 
C'est lui qui organise, fragment par fragment, l'image à l'intérieur de soi, qui elle, jamais ne nous quittera. Il n'a pas de hiérarchie, il se moque des sentiments élevés, il tolère avec tranquillité des vieux trucs un peu ridicules, des tics de langages, des petites manies indéfendables qu'on croyait nous agacer et qu'il replace obstinément dans notre corbillon.
Ce n'est pas un allié confortable. Ce qu'il édifie n'a rien de beau. Vu de l'extérieur,  ça ne ressemble à rien, ça semble sans structure, ça mélange le trivial et le pur, le bibelot et l'instant, le rire incontrôlé avec le sanglot.  Il ne s'annonce jamais poliment, il n'a pas d'égard pour votre fatigue ou votre lassitude, il se moque du lieu où l'on est ou de la tâche qu'on exécute. Plusieurs fois, on lui demandera, on le suppliera même de nous lâcher. Mais son temps n'est pas celui du calendrier. C'est celui de la cohérence retrouvée, du lien pacifié entre l'avant et l'après, des fragments réincorporés maintenant indissociables du maillage de notre vie. 
Et un jour, plus tard, on s'apercevra que cela fait longtemps qu'on ne l'a pas vu. On ne saura pas exactement à quel moment il l'aura fait, mais on sait que ce jour là, il aura laissé de côté sa gravité coutumière et vous aura déposé l'ombre d'un baiser sur la joue en vous disant : 
" Va. Tu peux faire sans moi, maintenant. Je ne reviendrai que lorsque tu auras besoin de moi"

Et l'on continue de se souvenir, sans urgence, sans alarme.

4 commentaires:

Sacrip'Anne a dit…

Oué enfin ça va, hein, de faire pleurer les gens comme ça de bon matin.

Belle dame, va.

Emma a dit…

Merci pour l'élévation, la sublimité et ce moment de méditation.

Marguerite du Pré aux bouzes a dit…

Rien à jeter... je garde

Lola a dit…

C'est très beau, très vrai, et tellement bien dit/écrit.