13.2.11
B. et sa mère.
Il fatigue tout le monde. Il bouge, il parle, il rit et il pleure plus que tout autre. Certains professeurs l'endurent, beaucoup le jettent. Un ou deux, à l'instar de l'infirmière, l'aiment en soupirant, parce que c'est un petit garçon vif et tendre, qui se précipite parfois à l'infirmerie, bouleversé d'une nième observation. Celui qui prend la patience d'éponger, moucher et démêler sous les hoquets l'objet de son souci est récompensé par un vrai, un irradiant sourire de lutin.
B. est sous Ritaline depuis trois ans et le dossier médical scolaire de ce petit garçon qui a fréquenté sept écoles avant le collège est vide. Je ne sais ni qui l'a prescrit ni sur quelle base.
Il est temps de demander à rencontrer son parent. En l'occurrence puisque le père vit ailleurs, ce sera sa mère.
Quand j'arrive la semaine suivante, elle est déjà là, discutant avec cette infirmière que j'apprécie tant. L'air absorbé, volontairement lisse de cette dernière qui écoute avec l'air ne n'en penser pas moins est déjà plein d'enseignement.
La mère parle. De tout. Sans frein, sans inhibition, avec humour et empathie, mais elle parle comme remonte un mascaret irrépressible. Cela déborde, cela charrie des blocs entiers d'histoire, ça colmate les fissures, ça se répand dans tous les coins, c'est très instructif et c'est saoulant.
Ce qui me frappe le plus, ce n'est pas tant de pouvoir attraper en moins d'un quart d'heure, les raisons des sept déménagements, le métier d'homme qui l'épuise, la rigidité violente du père qui liquéfie les gamins et l'absence de bilan neuropsychologique préalable à mise sous Ritaline.
Non, ce qui me frappe, c'est l'attitude de B, parfaitement posé sous le flot de paroles de sa mère, comme un chaton sous les coups de langue. Ses mains ne remuent pas, il ne tripote pas les objets de mon bureau, ne se tortille pas sur sa chaise, lève plaisamment le doigt pour glisser une remarque. Son visage mobile reflète chaque parole de cette mère qu'il aime si visiblement. Il ne s'émeut même pas qu'elle puisse me révéler, tout en faisant semblant de lui boucher les oreilles, que cette grossesse là ait pu ne pas être désirée. Son œil brille en coin, comme pour lui dire : "j' t'ai bien attrapé, hein!" Elle lui sourit.
Oui, cet entretien est à haute teneur en affects de tous ordres, mais il n'y a pas l'ombre d'une manifestation d'hyperactivité chez B en présence de sa mère. J'ai brusquement en tête l'image saugrenue de ces prématurés qui naissent dans le bruit et la stridence, dont les berceuses sont les bruits de pompe des machines avec les alarmes pour refrains et que le silence ouaté et protecteur du retour à la maison fait hurler.
Ceux-là, au grand étonnement de tout le monde, se rendorment au bruit de l'aspirateur.
Malgré tout ce qui peut me heurter ou me déconcerter dans le torrent de paroles de sa mère, le silence inattendu de B. me chuchote que c'est son bain nourricier et sa paradoxale protection.
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13 commentaires:
Est-ce par conséquent la séparation d'avec sa mère que le rend aussi agitè ? Et pourquoi ne peut-il revenir avec elle. Ton article me pose des tas de questions, cet enfant a l'air vraiment touchant et il doit y avoir une grosse souffrance en lui.
qu'est ce qui t'a fait penser, dans le texte, qu'il est séparé de sa mère? A part les 8 heures de classe?
Ce psychotrope ne peut pas être administré, en France, sans une prescription hospitalière initiale.
L'hôpital n'aurait pas fait un bilan complet avant ?
Sinon, il y aurait tant à dire que je pourrais faire un billet là dessus. Mais je suis faignante, et c'est tellement polémique...
Ecoute, s'il y a eu bilan par le pédiatre hospitalier... il n'y a pas de trace. Un billet? Dix!
Oui c'est vrai je ne l'ai lu nullepart, j'ai juste fait ma petite extrapolation perso. On sent une telle différence de comportement, et puis j'ai pensé qu'il était dans un centre médicalisé avec internat. Parfois je vais vite en besogne. Je vais relire.
Il y a des enfants effondrés au bord du chemin de leur vie. D'autres qui se camouflent en épouvantails. D'autres encore qui préfèrent devenir girouettes. Certains refusent (ou attendent) d'être des jouets pour adultes. Mais aussi des enfants en fauteuils à peine roulants. Des enfants oiseaux et d'autres crapauds. Quelques enfants dont le génie ne passera pas à la trappe des satrapes. Des enfants qui marchent sur l'eau et d'autres pris de vertiges et qui se noient. Pendus parfois aussi, même si c'est au cou d'un parent.
Une thèse, au moins, mais avec un gilet pare-balles ;-)
On est dans une situation ou tout le monde est dans l'impasse, parents, professionnels, scolaires... Parce que cette réponse médicamenteuse là interroge jusqu'à nos aberrations en tant que société.
Ils semblent manifestement très liés l'un à l'autre, pas forcément pour les mêmes raisons... Beau et touchant portrait, de l'un comme de l'autre. J'en reçois souvent également, des poussinous comme ça,échoués dans mon CDI parce qu'exclus de cours pour la n.ième fois et même exclus de l'étude, posés chez moi par un(e) CPE dépassé...
La ritaline se prescrit de plus en plus facilement je crois. Un pédopsy m'en a un jour proposé pour ma fille, sans même un bilan neuro, parce qu'après avoir été silencieuse pendant 4 ans elle se révélait d'une activité surprenante... et fatigante! J'ai refusé en bloc, j'ai poursuivi mes recherches de mon côté, hors des structures qui veulent à tout prix faire entrer les enfants dans des petites cases, et j'ai découvert il y a quelques moins à peine que ma me petite fille était tout simplement... un peu précoce! Parfois, faut pas chercher bien loin finalement!
Ton billet me fait penser que l'on m'a remis un questionnaire de Conners, à remplir à propos d'un petit garçon qui ressemble beaucoup à B. Mes collègues ne veulent pas répondre franchement aux questions de peur que ce document ne le suive toute sa vie. Et moi, je me dis que si ça peut lui éviter la Ritaline et l'aider grâce à une psychothérapie...
Il est touchant ce gamin.
J'espère qu'il croisera sur sa route des gens bienveillants...
Sa vitalité le sauvera peut-être finalement, non ?
Mais tu as raison, on pourrait écrire des pages entières en tirant le fil de sa vie agitée.
"...le silence inattendu de B. me chuchote que c'est son bain nourricier et sa paradoxale protection".
Mais as-tu fait l'hypothèse qu'en son absence il est en état de manque, et reconstitue l'agitation dont il ne peut se passer?
Dans un tout autre domaine, un ado m'avait dit un jour: "Un jeune, si ses deux parents fument, il va être obligé de fumer quand il aura son appart à lui".
Quant à la Ritaline, indépendamment de ce que j'en pense (du mal), elle n'a pas l'air d'être très efficace, cela ne suffit-il pas à la discréditer pour ce cas précis?
@Cultive ton jardin : j'ai fait exactement la même hypothèse. C'est pourquoi je parlais de ces préma qui ne s'endorment finalement que dans un bruit rassurant (manquait une petite phrase au texte)
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