2.10.10

Jeu de quilles en milieu fermé.


Rarement, quand même, j'aurai vu un membre haut placé de mon mon institution, planter délibérement un môme.
J'ai vu le millefeuille mou, l'indifférence à peine polie, la réduction des histoires en format aisément empilables, tous les travers des institutions innocemment perverses, mais cette volonté hargneuse et réfléchie, ce point d'honneur aussi obtus qu'intenable, je ne l'avais jamais vu.

Je vais essayer de vous la résumer : un enfant C. a un trouble du développement suffisamment sévère pour qu'on pense qu'il progresserait mieux en IME. L'organisme chargé de se prononcer sur cette orientation statue positivement, mais trop tard et de plus, légèrement hypocritement, puisqu'il n'y a pas de place dans l'établissement en question. Bien entendu , il ne sera pas fait état de plan B et, les vacances aidant, les parents apprendront le jour de la rentrée que leur enfant de 6 ans est sur le carreau.
Encore heureux qu'on ne menace pas de leur sucrer les allocations familiales.
Parce que voyez -vous, au CP et sans auxiliaire de vie scolaire, ben... c'est juste pas possible. A moins de tolérer qu'il fonce dans les vitres en hurlant quand il n'en peut plus.
Jusque là, on est dans le degré de saloperie habituel des institutions qui ne se rendent pas compte. Voir supra.
Ceci dit, une fois qu'ils se rendent compte, il y a quand même des gens bien. 48h après avoir été saisis de l'affaire, on mettait une douzaine de gens autour d'une table et on sortait une solution acceptable : une CLIS pas trop loin avec encore 5 places libres, une AVS et l'hôpital de jour.
Hop, yavaitpluka.
Et c'est à ce moment là qu'un véto d'en haut est arrivé avec un motif qui m' a brusquement projetée 40 ans en arrière et 4000 kms plus à l'Est : " affectation hors délai".
Et sous entendu " Si vous n'estimez pas possible de le maintenir en maternelle, demandez au médecin scolaire de faire un certificat de descolarisation".
Ben tiens, Ginette.
Je vous passe les tractations, les réseautages et pipautages les "je vous préviens, j'en fais une affaire personnelle" (Ça tombe bien, moi aussi et devant un tribunal administratif, c'est moi qui ai raison. Alors, j'te parle pas de la presse, hein, Ginette!)
Juste pour vous dire que C est bien arrivé dans sa classe.
Juste pour vous dire aussi, que malgré l'apparente ineptie du véto- pourquoi donc invalider une solution qui sauve tout à la fois la face de l'Institution défaillante et la peau du gamin?-il y a bien évidemment une logique dans cette histoire.
Celle qui voudrait que je vous annonce d'ici quelques mois la décision de fermeture de cette classe. Parce que dans les 60 000 postes d'enseignants supprimés de 2007 à 2011, une palanquée touche les RASED déjà exsangues et les enseignants spécialisés dans le mal-vissé.
A la place, on fera des inclusions sauvages avec des AVS sans formation, mal payés, débauchés dès qu'ils commenceront à avoir suffisamment de bouteille pour revendiquer le salaire qu'ils méritent.
Alors, Ginette, je comprends que tu préfères qu'il n'y ait que 7 familles au lieu de 8 à te souffler dans les bronches. Mais en l'occurrence, outre la morale, il y a la loi.
Cette fois-ci, l'Etat n'est pas arrivé à se cracher dessus. J'espère qu'on s'en félicite toutes les deux.

Dans un prochain billet, je vous dirais comment j'ai signé l'un des rarissimes certificats de contre-indication à la scolarité en milieu ordinaire et ce qui est en train de nous tomber dessus, depuis que la protection de l'enfance est devenue une coquille vide.

Ladies and Gentlemen, the shit hits the fan.


NB. Quelques sigles : IME , Institut Médico-Educatif. AVS, Auxiliaire de Vie Scolaire. RASED, réseau d'aide spécialisé pour les élèves en difficultés.

8 commentaires:

cultive ton jardin a dit…

Donc, la dessus, tu as gagné?
C'est effarant qu'on puisse être assez tordu(e?) pour faire "une affaire personnelle" de flinguer un môme... Il se passe vraiment dans ce pays des choses inquiétantes.

Les enfants, pire, les plus faibles d'entre eux, sont-ils devenus des ennemis pour certaines personnes? ?

Eric a dit…

Les bras en tombent... une fois de plus, devant tant de cynisme.

Axel a dit…

Merci pour le témoignage. Bien plus parlant que le raisonnable (?) tout le monde (tout le monde, vraiment ?...) doit faire des sacrifices.

Marianne a dit…

Le handicap n'est pas un chemin facile à vivre pour les parents et cela se complique avec l'âge . Bravo pour ce billet qui avec humour décrit bien la situation .

Ciorane la pauvresse a dit…

Dans ce monde de bureaucratie sourd, aveugle et stupide, heureusement qu'il reste des gens comme toi pour servir d'ancrage aux gosses paumés. J'admire le courage avec lequel tu gardes le cap au milieu de ces tempêtes kafkaïennes.

Fauvette a dit…

On doit avoir envie de se pendre parfois non ? Ou d'en pendre un ou deux... des adultes pas des enfants bien sûr...

orthophoniste a dit…

Encore une histoire d'incompétence banale et ordinaire.
Tous les ans je vois des équipes éducatives qui se terminent par des décisions...et à la rentrée suivante; patatras. Il manquait un papier ou on a tout envoyé trop tard, la commission s'étant déjà réunie, ou finalement on s'est mal renseigné et il n'y a plus de place en CLISS ou ailleurs... et j'en passe.
En ce moment j'ai un petit patient qui a besoin d'une AVS. En fin d'année on a raconté aux parents que "pas de problèmes, on fera tout le dossier à la rentrée". Gros mensonge. Tous les postes d'AVS sont déjà attribués. Ils se battent en ce moment avec leur dossier mais je sais moi qu'ils ne l'auront pas cette AVS.

epistyle a dit…

Ecœurant ! (Et tellement banal en plus...)