17.7.08
mettre les voiles
Les scrupules sont solubles dans la Rade de Brest.
Indéniablement.
C'est donc sans aucun scrupule que j'ai abandonné ma maison peuplée de jeunes gens, de chats et de fourmis en train de déménager pour profiter de l'aubaine offerte: Une journée à naviguer entre les vieux gréements, une journée de vent et d'eau, une journée à jouer à touche-caillou et à tribord-amure.
L'un des Princes de Galles définissait les plaisirs de la voile comme ceux d'un homme tout habillé sous une douche en train de déchirer des billets de banque. Un chanteur contemporain les mettait en musique en quelques vers: " je me suis cogné partout, j'ai dormi dans des draps mouillés, ça m'a couté des sous, c'est d'l'a plaisance, c'est l'pied."
Tout ceci est parfaitement juste. Moi-même, qui ne suis fan de rien, et surtout pas à priori de ce qui risque de faire froid, faim, mouillé et mal au coeur, je me demande parfois pourquoi j'aime bien mettre les voiles.
Ce n'est pas pour le confort. Pisser à vingt degré de gîte en se tenant d'une main, dégrafant de l'autre le harnais, le ciré, la petite laine polaire pendant que le reste de l'équipage regarde le compas avec une application étudiée ne vaut pas un après-midi au hammam à manger des gâteaux avec une amie.
Ce n'est pas pour le plaisir du voyage, le bateau est un excellent moyen d'aller nulle part, ou bien alors très ailleurs de ce qui était prévu sur la foi d'une météo aléatoire. Il arrive même que l'on s'offre, à grand frais, le plaisir délicat de faire SEMBLANT d'aller quelque part, lorsque le vent vous pousse dans un sens et le courant dans un autre.
Sur l'eau, tout est relatif, le vent, la vitesse, la direction et bien entendu, la nécessité de faire ça plutôt qu'autre chose.
Mais peut-être est-ce l'absolue inutilité de la chose qui met les inquiets, les bilieux, les scrupuleux dans la situation rare et bénie de n'avoir tout d'un coup plus d'autre préoccupation que celle de l'état de quelques mètres carrés de toile. Loin d'être indifférents au monde, les heureux en mer ne sont peut-être que des ouverts à tous vents qui n'ont, pour se protéger de leurs inquiétudes, que le choix d'en limiter le champ, radicalement, dans un inventaire contenu et modeste.
" Tu reprendrais pas du nerf de chute?
-mmmmh... Plutôt mollir le pataras."
Par petit temps, cela seul peut suffire à lancer la réconfortante palabre.
Partir sans heurt, revenir à bon port. Dans le meilleur des cas, sentir que le bateau, traité avec justesse, fait alliance sans souffrir avec ce qui le porte, tout autant qu'avec ce qui, nécessairement, lui résiste pour appuyer son envol. Ecouter le fluide contralto de l'eau sur la coque, le sifflement de l'air le long de la toile. Tendre le visage au soleil. Enlever le pull. Se caler sous le vent. Fermer les yeux.
"Anita, tu peux border le foc et m'apporter une tartine de pâté?"
Je peux.
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7 commentaires:
À quoi peut bien rêver un foc bordé par tes mains ?
Et bien, là, tu me donnes envie de m'en aller sur les flots pour quelques temps... Dommage que je ne vive pas au bord de l'eau. :)
Besoin d'une pose, moi...
J'arrive (Hénaff, le pâté ?) !!! :-)
moi aussi !!! quelle bonne idée ....la petite boite bleue que le marin n' oublie jamais . J' apporte aussi les crêpes , le cidre,le lambig....et un capitaine de secours au cas où :-))
Anita ...merci pour ce très beau texte .
HÉLER
Héler les palmes et les steamers
Les phares les rhumbs et les amers
Encore un peu d’Hugo de Valéry
…et de Corbière
Tout se défait ?
Mais certains matins
Nous n’en avons que faire
L’iode bouillonne et l’Odyssée
Toujours toujours recommencée
Je suis allée jusqu'au pâté, ravie de lire que faisant fi des scrupules , la narratrice prenait la mer et tout à coup oh ça bouge , vite ! j'aurais jamais du lire jusqu'au bout .
Tu as vraiment mis les bouts ? Tu sais que tu me donnerais presque envie d'y remonter à bord avec ton texte. Et pourtant... oui, tenir la barre la nuit, c'est impressionnant, mais ohlala ces damnés noms de cordage...
Au moins, j'ai retenu quelque chose : « sur un bateau il n'y a qu'une seule corde : celle de la cloche, et qu'une seule ficelle : celle du saucisson »
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