14.3.08

L'oeil écoute


Invitée, il y a quelques années, à exprimer auprès d'un député blasé, les raisons pour lesquelles, je souhaitait le maintien du service de santé au sein de l'Education Nationale, du moins tant que celle-ci le serait (nationale), j'avais défendu la théorie suivante :
"Monsieur le Député, si les maires se battent pour garder ou faire revenir des boulangers dans leurs communes, ce n'est pas parce que leurs administrés manquent de pain."
Je crois que c'est là qu'il avait levé un sourcil. Et c'est sans doute grâce à cette phrase que j'ai obtenu dix minutes au lieu de trois, pour lui faire entendre que la place sociologique d'une profession dépasse largement son objet technologique. De dedans, ou de dehors, ce n'est pas pareil.

J'ai repensé à cet entretien à deux reprises cette semaine. D'abord, parce que cela fait trois fois que je fais office d'écrivain public pour des familles tétanisées par les innombrables feuillets à remplir pour la Maison Départementale de la Personne Handicapée.

Et puis, ce matin, parce qu'à la radio, on parlait des phares.
Les phares meurent de leur automatisation. Personne n'a pensé, en supprimant l'humaine et quotidienne présence, au fantastique pouvoir corrosif de l'air marin, ni au bénéfice d'un entretien banal, soigneux et journalier. Non les équipes d'interventions ne remplacent pas l'attention d'un groupe d'hommes attachés à ce paysage vertical, le petit coup de vernis presque en passant, le clou machinal, la surveillance de l'usure.
Un gardien de phare n'est pas un simple allumeur, il n'est même pas résumable à son héroïque solitude pendant les tempêtes. Il porte la structure autant que celle-ci porte les navires en mer.

Comment ne pas aimer les phares? Pour qui aime les paysages marins, ils sont une signature du paysage, immédiatement reconnaissable, de jour comme de nuit, une empreinte dont on connait le nom, dont on cherche l'éclat et le rythme, qu'on sourit de voir en miniature dans des trucs à souvenirs, et cela fait comme un jeu de piste :
-"attend, celui-là c'est Kéréon?
-Nawak, c'est Nividic/La Jument/ les Baleines...
-oh l'aut', y prendrait le phare de la Vessie pour une lanterne!"

Oui, je sais, la Joconde , c'est beau, et les Demoiselles d'Avignon aussi, mais j'ai un faible pour la beauté cachée des utiles et des opiniâtres, pour les témoins du génie humain quand celui-ci joue une épopée sur cent mètre carrés de rocher en pleine mer. Il faut avoir lu le récit de la construction de la Jument, ou celle d'Ar Men...
Pas plus que le gardien de phare n'est qu'un simple allumeur, le phare n'est une simple lumière, en passe d'être inutile en ces temps de GPS. Le GPS ne veille pas sur vous, il ne vous dit pas "je t'attends" en trois éclats toutes les vingts secondes, il ne lie pas l'érigé et l'oeil de la mer, il ne dit pas le solide dans le mouvant. Il donne des ordres, pas des nouvelles...

Je serais triste qu'on laisse les phares à l'abandon. Et j'aimerai bien aussi, que lorsque les hautes sphères liront le montant de la facture pour la réfection des ces merveilles, ils prennent le temps de calculer combien ils auraient économisé en laissant sur place ceux qui, malgré tout, malgré le bruit et la fureur, y habitaient et les aimaient.

Bonus ici, et n'oubliez pas de cliquer sur "la suite" ou alors LA, pour ceux qui n'auraient pas trouvé.
Et puis, pour la musique, ce sera la Crevette d'Acier :
boomp3.com

11 commentaires:

Anonyme a dit…

Les vigies ont disparu et les vigiles prolifèrent. Déprimant...

Brigetoun a dit…

j'aplaudis

Marianne a dit…

Tout doit être rentable ou au moins non couteux dans un avenir qui se veut immédiat . L'abandon en solution et place d'une présence rassurante , allons l'époque écoute humaine n'est plus qu'archives , même les églises font appel à la technologie . j'attends avec impatience l'abandon des plus de soixante ans dans la montagne pour m'inscrire en premier sur la liste , la dernière petite ballade façon ballade de Narayama.
Je crains fort d'avoir le moral en berne aujourd'hui .
Bon si il y a une pétition du côté des phares , je signe .

l'âne Onyme a dit…

Et puis les gardes-barrière avec qui on faisait la causette en attendant que le train passe, le vélo appuyé sur la hanche. Et l'éclusier du canal du midi. Et toutes ces rencontres tous ces gens toutes ces vies qu'on croisait.
Oui le phare qui attend, le phare qui veille va nous manquer. Par respect pour ceux qui les ont animés, aimés ils devraient TOUS être sauvés et considérés comme un patrimoine de l'humanité.

Anonyme a dit…

Merci de ce plaidoyer en faveur des phares en péril. Depuis la nuit des temps ces héritiers du culte de la lumière guident les navires dans leur route nocturne. Aujourd'hui ils servent également de repères au voiliers des airs. Et leur disparition serait une profonde déchirure dans l'imaginaire des passionnés de la mer et du littoral.
Merci aussi de m'avoir fait découvrir La Crevette d'acier. J'ai trouvé leur site, on peut y écouter un court extrait de tous leurs titres http://www.crevettedacier.com/
Pour les amoureux des phares, dont je fait partie, "Le roman des Phares" est toujours au catalogue d'Omnibus : http://www.omnibus.tm.fr/FR/LeCatalogue/LeCata.html

Tellinestory a dit…

Pour ceux qui s'intéressent à la question, voici l'adresse du site de
société nationale pour le patrimoine des phares et balises


@Marianne : beuuuh? toi, il te faut une petite cure d'embruns...
@ l'âne : tu me fais penser une chanson de Caussimon...
@Kinka: bonjours! je suis contente de te voir en ces parages : nous nous croisons souvent chez Meerkat. La crevette d'acier, c'est pas encore abouti, mais certaines chansons sont bien troussées. Comme "j'ai rien fait", par exemple.
@Oxygène: et les naufrageurs, tiens!

Anonyme a dit…

Tu trouves les mots qui nous touchent...j' ai aussi lu un article dans le journal local sur ce sujet, je le mets en ligne demain avec un lien pour ici....on ne peut hélas que relayer ces infos .

Tellinestory a dit…

Oui Boutoucoat, il ne faut pas laisser mourir le monde de la mer :-(

Anonyme a dit…

Un haïku pour la route :

Le gardien de phare
Lance une idée lumineuse
Par intermittence

J.C Touzeil

Tellinestory a dit…

Quel éclat!
....
....
Quel éclat!
....
....

Anonyme a dit…

Comment dit-on : parfois le mieux est l'ennemi du bien.
Pour les phares, comme pour la santé à l'école et certainement 100 000 et une choses, il y a sans doute des gens de bonne foi qui se disent, ben oui, c'est mieux, ca coute moins, cher, c'est moins pénible, on peut remettre des ressources là ou il y en a plus besoin.
Comme quoi, il faut réfléchir, discuter, et parfois savoir faire marche arrière. Mais pour commencer, ne pas écouter les malfaisants qui eux savent très bien à quoi toutes ces judicieuses décisions modernes doivent d'abord conduire : à remplir leurs poches souvent déjà bien rembourrées.