12.1.08

1971-Idoles et premiers bars.


En 1971, j'ai 8 ans. Le jour de congé des élèves est encore le jeudi, et à la télé, y a Quentin Durward.
Je dois sauter une classe, le CM1. Il entre dans cette décision, un calcul alambiqué de mes parents, deux déménagements prévus en deux ans, une maison en construction pendant un an (les innocents!), aucune demande de ma part, mais peut être une certaine satisfaction de faire enfin comme mes deux frères.
Je voue à ma maîtresse un culte plus grand encore qu'à Quentin Durward, chaque sourire d'elle me traverse d'un sentiment proprement amoureux, mais je crois bien qu'au fond, je me fiche de l'école.
Menu déroulant sans histoire, routine benoîte et incolore. J'ai lu dès ma première année tous les livres de l'école et je bée d'envie et d'admiration devant les filles magiciennes qui jonglent au mur avec trois balles, et font vinaigre à la corde à sauter.
Je suis enveloppée d'enfance, sous-jacente encore, esquisse râblée, parfois débrouillarde et imaginative, parfois butée et chagrine.
Craignant, avec quelques raisons, que mon bagage soit un peu juste, mon père décide de se transformer en mentor, durant un mois, chaque matin.
Cet été, nous campons, dans ce Finistère que j'aimerai tant. Pour de vrai, dans un champ, avec une toile à l'architecture complexe, qui pèse un âne mort. Chaque matin, nous rejoignons un bistrot près du port, mon père bourre sa pipe, commande un café et une grenadine, et m'explique le monde et la règle de trois. J'en ai sans doute profité, ravie de l'avoir rien que pour moi. Je me suis sûrement tortillée sur ma chaise, gonflée d'importance, surjouant d'une voix aigüe le plaisir de ce moment d'intimité, posant à la fifille à son papa. Mais il joua loyalement son rôle, et je veux croire, à écouter en moi l'écho de ce moment, que j'y trouvais autre chose qu'une satisfaction de petit vampire de famille nombreuse.
J'aimerai le bruit de la pluie sur une toile de tente, j'aimerai intensément ce port sur l'Atlantique, les bars et plus particulièrement cette place près de la fenêtre où l'on peut regarder dehors tout en écoutant les conversations du dedans, le tabac aussi, et le café.
Je me souviendrai que j'étais en sécurité dans la voix patiente de mon père et que, plus que tout autre démonstration, c'est peut être cela, avoir été un enfant aimé : le confort immédiat que procure la voix de son parent, ce contact qui a traversé les années, les conflits et les nécessaires accommodements, et qui, maintenant encore, me nomme en un centre toujours vivant.
Par contre, en ce qui concerne Quentin Durward, ça ne marche plus du tout. Je l'ai réécouté vingt ans après, et le verdict fut sans appel. Ce bellâtre joue décidément comme une bernique.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

La chute me fait rire. (Les chutes – des autres – font forcément rire !)
Il y a comme de la perfection dans ce texte, mais je me garde bien de te le faire savoir. Et cette précision – qui me semble d'importance – sur la place "près de la fenêtre". Le juste endroit pour lier l'extérieur et l'intérieur, l'autre et soi.

Marianne a dit…

Beau moment d'enfance ou chaque acteur fut positif pour la fifille à son papa même Quentin Durward à cette époque trouvait grâce à ses yeux .
J'aime beaucoup l'image du père et ce partage d'un moment privilégié ou l'on se sent le préféré de la fratrie.

Anonyme a dit…

Ce que j'aime te lire !
En plus là tu me replonges dans ces contrées de l'enfance où j'aimerais bien souvent retourner (oui, j'ai souvent un pied dedans). Ce fameux sentiment de sécurité éprouvé à travers la présence d'un parent. Ce que j'adorais, c'était les retours en voiture d'une balade, la nuit, quand je sommeillais à moitié et rêvassais, allongée sur la banquette arrière. Ma mère fredonnait parfois. Rien ne pouvait arriver. C'était bien. Peut-être comme toi sous la tente à l'abri de la pluie, ou derrière la fenêtre.

Anonyme a dit…

Bon, je ne sais pas pourquoi, mon commentaire s'est envolé.
Je disais donc qu'il semble qu'on écrive beaucoup beaucoup plus sur les parents mal aimants que sur les autres, est-ce parce que les gens heureux ne sont pas censés avoir d'histoire?
En tout cas, ma chère Anita, tu sembles en avoir une, deux, plein, et pourtant, j'aime à penser que tu es heureuse.

Anonyme a dit…

Tu décris très bien cette relation particulière qu'une fille peut avoir avec son père, et c'est doux et beau même sans concession. Merci.

Anonyme a dit…

Yves dit tout très bien.
C'est beau.

Anonyme a dit…

C'est bien cette relation particulière que l'on noue avec un parent, en s'éloignant de la fratrie...
Ton billet est délicieux, et me fait autant de bien qu'un chocolat !
Merci.

Anonyme a dit…

Beaux souvenirs.