4.1.08

1970-Voyage en Irlande avec un âne et un cheval

Alors, comme cela, on peut.
On peut ouvrir un coffret clos depuis longtemps
et y retrouver intacte
une perle.
D'un bijou en or massif
on se serait attendu
à en revoir l'éclat solide et un peu âpre.
mais cela?
cette douceur enclose
qu'on aurait cru évanescente
c'est si têtu?
En 1970, j'ai sept ans, et De Gaulle, personnage pas marrant dont on parle de temps en temps à la maison avec colère, et beaucoup à la télé, avec trémolo, meurt. Pour avoir titré "Bal tragique à Colombey : un mort" Hara Kiri est interdit, et Pilote, le journal qui m'amuse, accueille un certains nombres de dessinateurs transfuges qui me feront réfléchir, mais plus tard.
Cet été, nous partons en famille en Irlande. C'est peut-être l'un des très rares moments de ce temps là qui fonctionne réellement comme un souvenir, et non comme une histoire de mon enfance, parce qu'au delà des mots, du récit forcément réaménagé, il me semble que je peux sentir encore l'odeur et les sensations de ce voyage. La douceur qu'il m'en reste est bien plus qu'un vestige.

Il y a d'abord l'âne, qui accepte par moment de nous porter. Plus tard, comme de nombreuses filles en quête de maîtrise, je prétendrais idolâtrer le cheval élégant et capricieux. Mais mon coeur ombrageux est allé à l'âne indulgent, sans aucune défiance et, pour la vie, j'aimerai son oeil fardé et son pas équitable.

Il y aura l'admiration que j'éprouve pour l'anglais de mon père, nullement entachée par la réponse du marin auquel il demandait son chemin :
-"Ah ça j'sais pas mon pote, nous autres, on est du Guilvinec, alors!.."
Après cet échange, il y aura la soirée, passée dans l'étroit carré du chalutier, qui sent le pétrole et la cigarette, les kilos de langoustines cuites dans la cambuse et offerts malgré les protestations de mes parents, la main qui ébouriffe les cheveux des mômes ravis, une sensation de chaleur et de tribu.
On retrouvera cette chaleur dans un pub parfaitement conforme aux promesses du syndicat d'initiative Irlandais. Nos parent s'étant enquis de nos désirs en matière de consommations, la mystérieuse unité de notre enfance, jointe à notre culot d'enfants aimés, nous fit claironner: "un whisky!" avec un ensemble qui fit hurler de rire le public, et ouvrit les portes de la soirée.
Il y aura ce périple en roulotte. Bien sûr, et surtout il y a quarante ans, cela représentait un sommet d'exotisme, et nous l'avions abordé avec une intense excitation. Mais ce qu'il m'en reste, c'est une façon extraordinairement paisible et intime de faire famille. Je retrouverai probablement plus tard en bateau, le pragmatisme tendre de ces menus gestes qui font le bien-être de chacun dans un espace minuscule. Oeuf mobile, déplacement sans autre enjeu que le bercement, parfums et lumière volés au passage...

Voilà. Si l'on me demande ce qui, dans mon enfance, incarne le réconfort, l'ingéniosité, le souci de faire plaisir et d'être ensemble qui peut-parfois- surgir d'une famille, c'est cette image là qui me vient: un pot de jelly, violemment rouge ou verte, figeant lentement dans un plat en pyrex, sur le siège d'une roulotte, au rythme du pas d'un cheval et des haussements d'épaules amicaux d'Irlandais en casquette de tweed.
Une vieille dame, peu avant notre retour, nous demanda de saluer Monsieur de Gaulle de sa part. Mon père promit gravement qu'il n'y manquerait pas.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

La force du récit, c'est qu'il ravive mes propres souvenirs : "bal tragique à Colombey" – les souris depuis ont rongé ma collection de Charlie et de Hara-Kiri – ; l'âne et ses crottes toujours déposées dans le même coin du pré ; le plat en pyrex sur la cuisinière à bois – rond central ôté – dont les braises du foyer éclairaient le sucre mis à caraméliser...
– En voilà un désordre...
– Ça, c'est la force du souvenir...

Anonyme a dit…

J'aime ce récit qui navigue entre esquisses et description. Au point final, je regrette que ce soit déjà fini.

Anonyme a dit…

Le problème c'est que Monsieur Charles - qui expia ses fautes en Irlande - était d'une époque maintenant révolue...
Bien que...
Ses pires ennemis (faut voir hein !.
) ne sont forts aujourd'hui d'une décentralisation qu'il aura prôné en vain et pour la négation de laquelle il démissionna ! (à tort ou à raison, je ne sais)
Monsieur Charles était un soldat d'avant-guerre, de guerre et d'après-guerre.
De nos jours, il n'y à guère de guerre vraiment mondiale (ou crédible hein !)
Des combats de rues ou de mafias.
S'il doit y avoir la der des der, j'espère qu'il y aura encore un Monsieur Charles vivant - soit-il irlandais...
Bises

Marianne a dit…

Et lorsque le coffre s'ouvre , nous profitons des perles et autres bijoux d'Anita . J'ai rencontré beaucoup d'ânes de par le monde , je confirme ils sont maquillés les coquins .

Anonyme a dit…

beau récits de suggestions et de souvenirs qui nous en rappellent d'autres...sur les terres d'irlande, les chevaux des nos 12 ans etun bal tragique qui couta cher...mais tous à des époques différentes...quel plaisir de les voir rassemblés
merci

Moukmouk a dit…

Je n'ai jamais touché à un âne, jamais senti l'odeur d'un âne, il fait trop froid ici pour eux, parait-il.

Mais avec ton si beau texte, tu viens de faire un trou dans mon enfance, il y manque un âne.

Tellinestory a dit…

@Yves: malin ça, maintenant j'ai envie d'une crème caramel. La jelly, c'est une reminiscence plus esthétique(?!) que gustative.
@Bernard: t'inquiète, le voyage risque de durer.
@Martin: A sept ans, j'étais bien trop jeune pour juger. Maintenant, je dois dire que comparativement à ce qu'on a aujourd'hui, c'est à dire le narcissisme sans sublimation...
@ Marianne : as-tu jamais réussi un trait de khôl aussi sublime? Moi jamais.
@Lucile et Lucien: vous êtes les très bienvenus!
@Moukmouk: pfff! à ce compte là, mon enfance sans loutre, sans baleine et sans mouffette est franchement mitée!

Anonyme a dit…

Qu'il est chouette et doux ce billet, il me berce aussi, j'ai l'âme à la roulotte ce soir...
Moi aussi j'aime les ânes pour la vie !

Anonyme a dit…

D'accord avec Yves sur la capacité d'un détail à faire émerger les souvenirs... J'avais moi aussi 7 ans en 1970. J'ai attendu 1976 pour sortir mes guêtres de l'exagone et 1992 pour connaître l'Irlande et sa douceur. De Gaulle trônait chez mon grand-père au sommet d'une bouteille de gnôle... Merci de cette petite Madeleine providentielle.