3.2.07

1962 : frères, la ligne de partage des os


En 1962, Messieurs Crick, Watson et Wilkins reçurent le Prix Nobel pour leur travaux sur la structure de l'ADN.
Ce fut cette année là également que naquit le deuxième brin de cet ensemble que je nommais, de façon auto centrée : mes frères. Sous- ensemble quasi -indiscernable, d'un noyau appelé "les enfants", dont émergeait à intervalle régulier, un quota suffisant de genoux écorchés, de bouches à nourrir, d'oreilles à laver, pour qu'on nous jugeât en bonne santé physique.
Si les petits cailloux qui ricochent en direction de mes parents interrogent le fil de la transmission, celui-là questionne le partage. Et pose, de façon très nette, le double sens de ce mot, qui parle de ce qu'on fait circuler entre nous, de ce qui appartient tout entier à tous et à chacun, mais aussi de ce qui tranche, isole, et distribue en fragments inconciliables. Sans nul doute, la langue que nous partageons est riche de ces doubles sens, de ces appariements en miroir, distincts et indissociables.
Nous eûmes cela, le trésor sans fond des histoires inventées à trois, des chatons solennellement promenés en landau, du bruit de la pluie sur la toile de tente, la barre du milieu, bien sûr, et d'improbables pulls tricotés main par une grand mère aveugle, tout ce qui tenait chaud à chacun sans léser l'autre.
Pourtant, les places n'étaient pas interchangeables. Dans chaque famille, dans chaque clan, se créent des territoires de prédilections, qu'on se les choisisse ou qu'on vous les impose. Notre adolescence fit éclater le magma avec d'autant plus de violence qu'à la nécessaire négociation intime de notre âge s'ajouta l'effondrement du couple parental. Les lignes de partage dessinèrent la géographie douloureuse de nos conflits de loyauté. Dans le retournement haineux du divorce, Médée nous laissa la vie sauve, mais ce ne fut pas sans contrepartie. Sommés insidieusement de prendre partie, incapables d'être infidèle à l'une des moitié de notre génome, nous lâchâmes notre complicité pour réorganiser solitairement nos débris.

Adultes, nous savons encore qu'il ne faut jamais parler sèchement à un numide et nous rions encore à faire parrrrrrrler petit pistolet trrrrrrrrrente- six coups. Notre fond commun de vieilles plaisanteries, la certitude que chacun à notre manière, nous avons tous tenté de comprendre quelque chose au monde qui nous entoure, notre rapport à l'enfance, notre (trop souvent muette) sensibilité à ce qui affecte l'autre, continuent de jeter, par endroit, des ponts sur nos tranchées de repli.
Mon père fit deux autres enfants, avec lesquels tout sera différent, et bien sûr, je me suis crée d'autres frères.
Dans mes aînés, outre ce que la vie a fait d'eux, je contemple des reflets inédits de mes parents, dont certains m'avaient- et c'est le cas de le dire- complètement échappé. Mais malgré cette inaltérable familiarité, je garde l'étrange sensation qu'il me sera désormais, et pour toujours, plus facile de leur donner ou d'en recevoir un rein qu'un avis.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

La réponse se trouve peut-être chez Galadriel: les elfes ne donnent pas de conseil, parce que c'est souvent un cadeau empoisonné.

Parce que A. Allais avait bien raison, faire des prévisions est bien difficile, surtout si ça conserne des questions d'avenir.